Résumés des communications et des conférences plénières

Anne Abeillé. LLF / Université Paris Diderot

Shrita Hassamal / MIE (Maurice) / LLF

Le système français des interrogatifs est lacunaire : le pronom inanimé présente une alternance entre que (extrait) (1a) et quoi (in situ) (1b) mais aucun ne s’emploie en sujet (2). De plus, que interrogatif doit être attaché au verbe (3)

(1)       a.         Que veux-tu ?

  1. Tu veux quoi ?

(2)       *Quoi /*Que s’est passé ?

(3)       Que veut Paul ? / *Que Paul veut ?

En Mauricien, ki interrogatif est inanimé, à la différence de ki relatif, et alterne avec kiete. Comme en français que et quoi, ki doit être extrait (4a) (Véronique 2007) et kiete(4b) in situ, mais ki peut être sujet (5).

(4) a. Ki/* Kiete to kapav fer? 

quoi     3sg pouvoir faire?

‘Que peux-tu faire ?’

  1. To kapav fer kiete/*ki ?

2sg pouvoir faire quoi ?

‘Tu peux faire quoi ?’

(5)       Ki/*Kiete pase  la ?

Quoi passer         ici ?

Ques’est-il passé ici ?’

Nous proposons d’analyser ki comme forme faible (ne peut être employé seul ni coordonné) et kiete comme forme forte (6), à l’instar des pronoms personnels : mo, to (8b) formes faibles sujets contrastent avec mwa, twa (7,8a), formes fortes (Syea 2000).

(6)       Kisannla ou kiete/* ou ki inn       fer  twa sanz lide?

            Qui         ou quoi       PERF faire toi changer idée ?

‘Qui ou quoi t’a fait changé d’avis ?’

(7)       a. Zan ek mwa/ *ek mo.   ‘Jean et moi’

  1. Twa / *to ou Zan. ‘Toi ou Jean’

(8)       a. Pol   inn      trouvtwa/*to. ‘Paul t’atrouvé.’

Paul  PERF trouver 3sg

  1. b. Mo/*Mwa pou vini. ‘Je viendrai.’

Isg FUT venir

Il en va de même en Seychellois (Corne 1977) : l’interrogatif inanimé présente une alternance entre ki (extrait ou sujet) (9) et kwa (in situ) (10):

(9)       a. Ki /*Kwa ou oule ?  (Que veux tu ?)

  1. Ki’n arive ? (Qu’est-il arrivé ?)

(10)    Ou oule kwa/ *ki ? (Tu veux quoi ?)

Même si les grammaires ne sont pas toutes d’accord sur ce point (Germain 1976, Bernabé 2003), les données recueillies auprès de nos informateurs indiquent pour l’interrogatif inanimé, une alternance similaire ka/kisa en Guadeloupéen.

(11)     a. Ka / * Kisa ou vlé ? (‘Que veux-tu ?’)

  1. Ou vlé kisa /* ka ? (‘Tu veux quoi ?’)
  2. Ka’y /*Kisa’y pasé ? (Que s’est-il passé ?)

Pour l’interrogatif inanimé, les créoles à base française n’ont pas hérité la forme faible que, et seuls certains ont hérité quoi. Mais les trois créoles étudiés ont recréé une distinction forme forte/forme faible, avec une distribution qui, à la différence de que/quoi en français, n’est pas lacunaire.

Références

Bernabé, J. 2003. Précis de syntaxe créole. Ibis Rouge Editions.

Corne, C. 1977. Seychelles Creole Grammar. Tübingen.

Germain, R. 1976. Grammaire créole. Editions du Levain.

Syea, A, 2000. L’absence de pronoms clitiques en créole mauricien. Langages, 138, 70-88.

Véronique D. 2007, ‘Ki en haïtien, en mauricien et dans quelques autres créoles français’, in Charolles et al. (eds) Parcours de la phrase, Ophrys.

 

L’alternance que/quoi en mauricien et dans d’autres créoles à base française.

Anne Abeillé. LLF / Université Paris Diderot

Shrita Hassamal / MIE (Maurice) / LLF

Le système français des interrogatifs est lacunaire : le pronom inanimé présente une alternance entre que (extrait) (1a) et quoi (in situ) (1b) mais aucun ne s’emploie en sujet (2). De plus, que interrogatif doit être attaché au verbe (3)

(1)        a.         Que veux-tu ?

  1. Tu veux quoi ?

(2)        *Quoi /*Que s’est passé ?

(3)        Que veut Paul ? / *Que Paul veut ?

En Mauricien, ki interrogatif est inanimé, à la différence de ki relatif, et alterne avec kiete. Comme en français que et quoi, ki doit être extrait (4a) (Véronique 2007) et kiete(4b) in situ, mais ki peut être sujet (5).

(4) a. Ki/* Kiete to kapav fer? 

quoi     3sg pouvoir faire?

‘Que peux-tu faire ?’

  1. To kapav fer kiete/*ki ?

2sg pouvoir faire quoi ?

‘Tu peux faire quoi ?’

(5)        Ki/*Kiete pase  la ?

Quoi passer         ici ?

Ques’est-il passé ici ?’

Nous proposons d’analyser ki comme forme faible (ne peut être employé seul ni coordonné) et kiete comme forme forte (6), à l’instar des pronoms personnels : mo, to (8b) formes faibles sujets contrastent avec mwa, twa (7,8a), formes fortes (Syea 2000).

(6)        Kisannla ou kiete/* ou ki inn       fer  twa sanz lide?

            Qui         ou quoi       PERF faire toi changer idée ?

‘Qui ou quoi t’a fait changé d’avis ?’

(7)        a. Zan ek mwa/ *ek mo.   ‘Jean et moi’

  1. Twa / *to ou Zan. ‘Toi ou Jean’

(8)        a. Pol   inn      trouvtwa/*to. ‘Paul t’atrouvé.’

Paul  PERF trouver 3sg

  1. b. Mo/*Mwa pou vini. ‘Je viendrai.’

Isg FUT venir

Il en va de même en Seychellois (Corne 1977) : l’interrogatif inanimé présente une alternance entre ki (extrait ou sujet) (9) et kwa (in situ) (10):

(9)        a. Ki /*Kwa ou oule ?  (Que veux tu ?)

  1. Ki’n arive ? (Qu’est-il arrivé ?)

(10)     Ou oule kwa/ *ki ? (Tu veux quoi ?)

Même si les grammaires ne sont pas toutes d’accord sur ce point (Germain 1976, Bernabé 2003), les données recueillies auprès de nos informateurs indiquent pour l’interrogatif inanimé, une alternance similaire ka/kisa en Guadeloupéen.

(11)      a. Ka / * Kisa ou vlé ? (‘Que veux-tu ?’)

  1. Ou vlé kisa /* ka ? (‘Tu veux quoi ?’)
  2. Ka’y /*Kisa’y pasé ? (Que s’est-il passé ?)

Pour l’interrogatif inanimé, les créoles à base française n’ont pas hérité la forme faible que, et seuls certains ont hérité quoi. Mais les trois créoles étudiés ont recréé une distinction forme forte/forme faible, avec une distribution qui, à la différence de que/quoi en français, n’est pas lacunaire.

Références

Bernabé, J. 2003. Précis de syntaxe créole. Ibis Rouge Editions.

Corne, C. 1977. Seychelles Creole Grammar. Tübingen.

Germain, R. 1976. Grammaire créole. Editions du Levain.

Syea, A, 2000. L’absence de pronoms clitiques en créole mauricien. Langages, 138, 70-88.

Véronique D. 2007, ‘Ki en haïtien, en mauricien et dans quelques autres créoles français’, in Charolles et al. (eds) Parcours de la phrase, Ophrys.

 

Multilingues ou monolingues de naissance ? Telle est la question

Conférence plénière

Enoch O. Aboh

University of Amsterdam

Le plurilinguisme est souvent perçu par les acteurs publics comme un frein à l’apprentissage de la langue standard, à la réussite scolaire et à la cohésion nationale. Plus récemment, on note un changement d’attitude envers certaines langues courantes, comme l’anglais, l’allemand ou le chinois. Les atouts économiques qu’offrent ces langues poussent les autorités administratives à encourager leur apprentissage dès le plus jeune âge. Cette attitude ne devrait, cependant, pas cacher le sort des langues minoritaires qui ne bénéficient pas de cet engouement pour le bilinguisme. Pour les locuteurs de ces langues-là, la seule alternative proposée est le monolinguisme dans la langue standard. Mais le monolinguisme tant promu par les États est-il favorable à la cognition humaine ?

Au cours des dix dernières années, de nombreuses études en neuroscience semblent montrer que la maîtrise de plusieurs langues dès le plus jeune âge ainsi que certaines pratiques bilingues auraient d’importants avantages cognitifs et pourraient prévenir le vieillissement cérébral (voir p. ex. les travaux d’Ellen Bialystok ou de Jubin Abutalebi). Le plurilinguisme serait donc une pratique saine. Dans cet exposé, j’aborderai la question du plurilinguisme par le biais de l’alternance codique. J’argumenterai que la facilité avec laquelle les locuteurs acquièrent cette compétence indique que le cerveau humain a évolué pour traiter des données linguistiques fluctuantes provenant de sources (ou parfois de langues) diverses afin de les recombiner pour développer des grammaires mentales multiples. De fait, nous naissons multilingues. Inhiber cette capacité cognitive naturelle en faveur du monolinguisme revient à amoindrir les capacités cognitives de l’individu.

 

Les marqueurs du pluriel en créole réunionnais

Ulrike Albers

LLL– Universitéd’Aix-Marseille

Le créole réunionnais (CR) possède un élément préposé au nom qu’il partage avec le mauricien et le seychellois, bann. Il dispose cependant de deux autres morphèmes également préposés ( ; ). Selon Baptista (2007), le CR ne possèderait pas de marqueur ouvert pour le pluriel. Staudacher-Valliamée (2004) écrit que le pluriel est marqué par le « pluralisateur » bann, « combinable avec l’indéfini in ». (Bollée (2013) indique que le pluriel peut être marqué par et que le « mot de pluralité » bann est loin d’être grammaticalisé, facultatif, et limité aux humains.

Nous montrerons qu’en CR, le pluriel est obligatoirement marqué par bann. Les morphèmes et n’ont qu’un usage très restreint[1]. Nos observations s’appuient sur un corpus constitué d’échanges spontanés en situation familière. Des jugements de grammaticalité et de félicité viennent compléter ces données.

Dans notre corpus, bann apparaît indifféremment avec des animés et des inamimés. Des jugements de grammaticalité montrent que bann, contrairement aux quantifieurs (Löbner 85), ne peut être l’objet d’une négation (1). L’expression n’est pas non plus un collectif mais au contraire bloque la lecture collective (2).

(1)        La pwin inta (domoun)/*bann (domoun) i di bonzour.
‘Il n’y (en) a pas beaucoup (de gens) qui disent bonjour.’

(2)        Bann zabitan la giny 40€.
‘Les habitants ont gagné 40 € chacun/ #ensemble.’

Bann montre sensiblement les mêmes caractéristiques que la même forme en mauricien (Alleesaib 2012). Elle diffère des expressions cardinales imprécises telles que quelques, contrairement à ce que pose Déprez (2009) pour le mauricien et le seychellois. Nous postulons qu’un NP accompagné de bann désigne une entité plurielle[2], et que bann est obligatoire pour marquer le pluriel, les SN nus étant neutres quant au nombre.

L’expression inbann, diachroniquement apparentée, doit être distinguée du pluriel bann car elle se comporte différemment en syntaxe, et possède un type logique différent.

Dans notre corpus, le morphème n’apparaît qu’exceptionnellement, en dehors des locutions comme léga ou toulézour. est rare également, et se trouve généralement dans des environnements contenant d’autres éléments de code-switching.

Références citées :

Alleesaib, Muhsina. 2012. Le groupe nominal en créole mauricien : études syntaxiques. Université de Paris VIII, Saint-Denis.

Baptista, Marlyse & Guéron Jacqueline. 2007. Noun phrases in creole languages: a multi-faceted approach. John Benjamins Publishing, Amsterdam/Philadelphia.

Bollée Annegret. 2013. Reunion Creole structure dataset. In Haspelmath & all. (eds.), Atlas of Pidgin and Creole Language Structures Online. Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Leipzig.

Cellier, Pierre. 1987. Description syntaxique du créole réunionnais : Essai de standardisation. ANRT Lille 3, Lille.

Déprez, Viviane. 2009. (Un)-interpretable Features and Grammaticalization. In Dufresne & all. (eds.), Historical Linguistics 2007: Selected papers from the 18th International Conference on Historical Linguistics. Montreal.

Löbner, Sebastian. 1985. Definites. Journal of semantics 4(4).

Staudacher-Valliamée, Gillette. 2004. Grammaire du créole réunionnais. SEDES – Université de La Réunion, Saint-Denis.

 

Littérature d’expression créole. Un renouveau en Haïti ?

Darline Alexis

UEH-uniQ

Des acteurs importants du monde culturel parmi lesquels les écrivains Yanick Lahens et Lyonel Trouillot affirment, dans de récentes prises de parole, observer un lieu de redynamisation de la littérature haïtienne qui est celle d’une production en langue créole. L’attribution de deux des quatre derniers prix Deschamps à des œuvres en créole, Kékèt ak Janmari (2014) de Rhoddy Attilus et Tifi (2017) de Saïka Céus, semble confirmer leur lecture.

Dans cette intervention, il sera question d’analyser de plus près ce « phénomène ». D’une part, en nous intéressant à la dimension quantitative des publications en créole de ces cinq dernières chez les éditeurs reconnus d’Haïti ainsi qu’à l’attribution des prix côtés dans les différents genres pratiqués par les auteurs. D’autre part, en considérant l’accueil et la réception critique de ces œuvres, quand il en existe.

 

Convergence des langues et imaginaire sociolinguistique : étude sur la fiction et le discours médiatique en Haïti

Mick Robert Arisma

LangSÉ, UEH et Praxiling, UMPV

Le créole et le français sont deux langues en circulation de manière disproportionnelle en Haïti. La valence de la première l’emporte sur la seconde sur le plan des statistiques (On dit que tous les Haïtiens vivant dans le pays parlent créole) tandis que c’est la seconde qui prime du point de vue des représentations sociales sur une échelle exceptionnellement marquée au niveau des institutions. Cette problématique, c’est-à-dire, cette double saisie sociolinguistique, semble caractériser une double culture, donc une double vision du monde au sein d’une même agglomération.

C’est pourtant la lecture des textes journalistiques et romanesques qui traduisent le mieux l’expression de cette double culture. Au constat, rarrissimes sont les situations où les locuteurs francophones natifs n’ont pas recours à la convergence des langues dans leur production textuelle. De nombreuses études ont permis d’approcher la réalité sous des angles très divers. Il n’en demeure pas moins vrai que la situation n’évolue presque pas sur le plan des représentations en raison du manque de prise en charge des autorités et d’une campagne d’éducation à la citoyenneté relative au statut linguistique du pays. Le constat est qu’il existe un enseignement du français en Haïti qui ne cadre pas avec la pratique langagière des locuteurs. Quelles sont les raisons à la base de cette observation ? La présente communication vise à présenter l’ambivalence qui caractérise la pratique langagière et les représentations qu’on s’en fait.

Bibliographie

Bajeux, Jean-Claude (1999), Anthologie de la littérature créole haïtienne, éditions Antilia, Port-au-Prince.

Casimir, Jean (2011), La culture opprimée, Imprimerie Médiatexte, Port-au-Prince.

Confiant, Raphaël (1993), Aimé Césaire, une traversée paradoxale du siècle, Écriture, Paris.

Govain, Renaud (2014), Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol, L’Harmattan, Paris.

Laethier, Maud (2011), Être migrant et Haïtien en Guyane, CTHS, Paris.

Targète, Jean (2001) Langue créole universelle, Imprimeur II, Port-au-Prince.

Valdman, Albert, (2005), Vers la standardisation du créole haïtien. Revue française de linguistique appliquée, N°1, Vol. X, 39-52.

Vernet, Pierre, (1980), Le Natal, Technique d’écriture du créole haïtien. Port-au-Prince.

 

L’usage des formes de langue hybrides dans le discours des apprenants en français langue d’intégration : exemple de didactisation des marqueurs culturels et des analogies linguistiques en contexte.

Frédéric Beaubrun

ESPE Guadeloupe / Université des Antilles

Cette communication rend compte de trois unités de séance d’enseignement réalisées en juin 2017, en Guadeloupe dans des classes de migrants apprenant le français langue d’intégration. A partir de récits sur la connaissance d’animaux et de plantes (présentées sur des photographies en couleurs), nous analysons les occurrences lexicales (Anscombre, 2001) et les empans discursifs à l’aune du concept du récit de soi (Molinié, 2007). D’abord, nous tentons d’identifier des éléments culturels significatifs d’une identité historique, insulaire et (ou) caribéenne. Dès lors, nous cherchons à comprendre ce qui, chez les migrants allophones, constitue leur propre langage pour « dire le monde », à partir des subjectivèmes repérés (Kerbrat-Orrechioni, 1980), ou éléments de subjectivité, en tant que révélateurs de la personnalité des locuteurs. Ensuite, nous observons des éléments linguistiques sur les plans sémiologiques, lexicaux et sémantiques. Notre analyse se penche particulièrement sur les formes de langues utilisées, en créole haïtien, guadeloupéen, ou sous des formes interlectales faisant intervenir d’autres langues premières (anglais et espagnol). Ainsi, à la lumière des analogies et des différences relevées, nous cherchons à comprendre comment peut se construire ou se renforcer une compétence plurilingue chez les apprenants telle qu’elle devienne (ou pas) un élément facilitateur et catalyseur d’apprentissage. La posture et la méthodologie du formateur sont également interrogées là où il peut devenir un « passeur de cultures » et un facilitateur de cohésion du groupe. Ainsi nous tentons de participer à une réflexion d’ordre épistémologique à la fois en Sciences de l’Éducation et en didactique des langues, dans les champs propres aux phénomènes de translangaging et de multilangaging interrogés ici en tant que leviers pédagogiques et didactiques.

 

Transmission du créole haïtien en contexte créolophone. Du conflit intergénérationnel et de la construction du sujet né en diaspora ?

Max Belaise

Université des Antilles / pôle Martinique

Selon l’un de nos informateurs créolistes dominiquais, la communauté haïtienne de l’île de la Dominique permet de dynamiser le créole BLF de cette ex-colonie britannique, où cohabitent les créoles BLA et BLF[3]. C’est que les analystes sont donc conscients de l’impact linguistique et culturel de cette « puissance migratoire » dans la région Caraïbe (Manigat, 2014). Selon la chercheuse, « il s’est ancré dans le quotidien des pays caribéens, l’idée que les migrants haïtiens arrivent et s’installent dans des communautés chaque jour plus denses et fermées, et introduisent leurs particularités de langue, de rites et de culture » (Ibid.).

Dans nos travaux, nous nous intéressons à la diaspora haïtienne de la Martinique à travers le contact de créoles et à travers les transmissions linguistique et culturelle. En effet, outre le métissage linguistico-culturel (migannaj) que nous avons étudié dans une publication à paraître (2018), nous intéressons à la question de la transmission du créole haïtien et de façon générale de l’éducation au sein de cette diaspora.

Quel créole pour les enfants qui naissent à la Martinique ? Comment se situent-ils entre des parents et adultes qui alternent les créoles d’Haïti, de Martinique, de Sainte-Lucie, de la Dominique, de la Guadeloupe, etc. Comment construisent-ils leur identité de sujets nés de parents en ex-île (exil) ?  Y-a-t-il conflit intergénérationnel ?

Nous entendons étendre une recherche déjà initiée sur un plus vaste échantillon de migrants en intégrant certains que nous n’avions pas rencontrés. En effet, nous avions circonscrit la population cible aux membres des communautés protestantes haïtiennes de l’île du poète. Or certaines de ces ecclésioles étonnent par la diversité de ressortissants et de créoles des îles précitées, mais aussi ceux d’autres territoires tels qu’Aruba, Saint-Martin, etc. Les jeunes y sont confrontés, car la koïné dans ces topoi est un créole haïtien mâtiné d’autres créoles. Pourtant la langue dans la famille est le créole haïtien ; certains enseignements dans ces églises se font avec des manuels traduits en créole haïtien et la bible traduite dans cet idiome est utilisée.

Nous espérons mieux préciser nos premiers résultats et espérons poser la question de l’identité et de l’altérité à travers l’exemple de cette communauté. À cet égard, Maud Laëthier posait cette problématique dans le cas des jeunes haïtiens nés en Guyane.

 

La rencontre du créole et du français dans le domaine éducatif en Haïti : quelles perspectives ?

Guerlande Bien-Aimé

LIDILEM / Université Grenoble Alpes

LangSÉ / FLA-UEH

L’aventure européenne en Haïti n’a pas seulement suscité des bouleversements politiques et la naissance d’un nouvel État, elle a aussi provoqué un grand mélange de races et de peuples et « un étonnant brassage de langues » (Pompilus 1961 : 13). Ainsi, ces circonstances sociohistoriques font qu’aujourd’hui le pays a pour langues officielles le français et le créole. Dans l’imaginaire linguistique haïtien, le français est souvent considéré comme la langue de promotion sociale, de l’éducation, de gens cultivés, tandis que le créole, tout en étant la langue première de tous les Haïtiens, est parfois perçu comme la langue des défavorisés, des non- instruits. Les considérations que les locuteurs font de chacune des langues officielles d’Haïti se trouvent reflétées dans le système scolaire. En effet, le domaine scolaire, en Haïti, est l’un des secteurs où l’absence d’une politique linguistique cohérente et déclarée reste la plus visible. Le système scolaire, à travers ses cadres, s’enlise dans une lutte pour faire fonctionner l’enseignement avec un cursus impliquant le créole mais sans une réelle décision de rendre son utilisation rationnelle. Ainsi, des phénomènes de double vue se présentent. D’une part, les acteurs de l’éducation reconnaissent que la voie vers l’appropriation des connaissances est favorisée par le créole mais d’autre part, la hantise que la langue de prestige (le français) ne soit pas maîtrisée à l’école occasionne des rejets que les élèves ne peuvent pas ne pas sentir. Les élèves sont donc en contradiction entre les exigences de la communication facilitée (le créole) et une image de cette langue comme véhicule imparfait d’appropriation de connaissance dans leur processus de scolarisation. La plupart des directeurs d’écoles et des enseignants souhaitent que leurs élèves arrivent à maîtriser le français. On constate cependant que l’insécurité linguistique met ces derniers dans une situation de blocage. Les élèves éprouvent de la peur quand ils doivent s’exprimer en français, en salle de classe.

À travers cette communication, nous aborderons, d’abord, le qualificatif du bilinguisme haïtien, c’est-à-dire, comment se présente cette double identité (créolophonie /francophonie) linguistique dans la pratique. Ensuite, nous analyserons plus spécifiquement les différents défis auxquels fait face le système éducatif, en raison de l’intégration non effective du créole dans l’enseignement. Notre propos se basera principalement sur des données que nous avons recueillies, en automne 2014, à partir de trois types de questionnaires sociolinguistiques proposés à 12 responsables d’écoles, 38 enseignants et 410 élèves. De cette réflexion, nous espérons dégager plus particulièrement des perspectives susceptibles d’encourager l’intégration effective du créole à l’école.

Bibliographie indicative

Bentolila A. & Gani, L. (1981). « Langues et problèmes d’éducation en Haïti ».  Langages, Vol.15 n° 61. 117-127.

Boyer, H. (2008). Langue et identité. Limoges : Lambert Lucas.

Calvet, L.-J. (1996). Les politiques linguistiques. Paris : Presses Universitaires de France.

Calvet, L-J (1974). Linguistique et colonialisme. Paris : Payot.

Chaudenson, R. (1978). Langue française : Les créoles français. Paris : Larouse.

Chaudenson, R. et Vernet, P. (1983). L’école en créole : Études comparée de réformes éducatives en Haïti et aux Seychelles. Québec : Agence de coopération technique. Différenciées. Paris : Hachette.

Halaoui , N. (2011). Politique linguistique : faits et théorie. Paris : Écriture

HARMERS, J.F. et BLANC, M. (1983). Bilinguisme et bilingualité. Bruxelles : Pierre Mardaga.

Laguerre, P.-M. (2009). Enseigner le créole et le français aux enfants haïtiens. Port-au Prince : Henri Deschamps.

Mackey, W- F. (1976) Bilinguisme et contact des langues. Paris : Klincksieck.

Petitjean, C. (2009). Représentation linguistique et plurilinguisme. Thèse de doctorat 3e cycle, Université de Provence.

Pompilus, P. (1961). La langue française en Haïti. Paris : Institut des hautes études de l’Amérique Latine.

Valdman, A. (1978). Le créole : structure, statut et origine. Paris : Éditions Klincksieck.

 

 

Les marques de futur en haïtien

Patricia Cabredo Hofherr

UMR 7023 SFL (CNRS & Paris-8)

Le présent travail vise à mettre les observations sur les marques de futur en haïtien dans le contexte plus large des études des marques de futur afin d’établir si les contrastes observés dans la littérature peuvent être rapprochés de différents types de marques futures identifiés dans des travaux typologiques.

Toutes les descriptions du système TAM de l’haïtien remarquent qu’il existe plusieurs marques de futur (DeGRaff 2007, Véronique 2009, Valdman 2015).

(1)        a.          ap

  1. pral
  2. a /va.

La question se pose donc de savoir quelles sont les différences sémantiques entre les différentes marques.

L’interprétation de ap dépend en partie du type de prédicat : (i) associé à un prédicat statif ap présente une valeur de futur ou d’inchoatif (ii) associé à un prédicat non-statif il marque l’aspect progressif ; les descriptions reconnaissent cette corrélation a un caractère approximatif (DeGraff 2007, Valdman 2015).

Etant donné qu’ap est une marque de progressif, une hypothèse possible serait que les valeurs de ap sont des valeurs appelés futurates (interprétation future d’un progressif ou imperfectif non-marqué pour le futur). Avec un sujet volitionnel, les futurates sont limités aux prédicats planifiables comme 2a (Copley 2009). Or, selon nos informateurs l’haïtien ap permet des événements planifiables aussi bien que des événements non-planifiables 3a/b, ce qui plaide contre une analyse comme de ap comme futurate progressif.

(2)        a. The Red Sox are playing the Yankees tomorrow.

  1. # The Red Sox are beating the Yankees tomorrow.

(3) a. Brezil ap jwe ak Ajantin demen. Le Brésil jouera contre l’Argentine demain.

  1. Brezil ap genyen Ajantin demen. Le Brésil gagnera contre l’Argentine demain.

Selon nos informateurs, le marqueur pralse combine avec ta (ti+a) pour donnerdes lectures de futur dans le passé, que ce futur ait été réalisé (route réparée) ou pas.

(4)          Ane pase, Jan prezante nou M. Y ki ta pral repare wout vilaj nou

L’année passé, Jean nous a présenté M. Y. qui allait réparer la route de notre village.

Le marqueurap a également des lectures de futur dans le passé

(5)        Wa a fè sèman l ap bay Malis yon pa wayom nan

roi det faire serment il AP donner M. un part royaume det

Le roi promit qu’il allait donner M. une part du royaume.

The king promised that he would give Malice part of the kingdom.

(Valdman 2015, 226, ex 38)

Les exemples 4 et 5 suggèrent que, dans le modèle de Klein 1994, pral et ap ne sont pas des marques de temps futur (càd marquant un temps postérieur relatif au temps de l’énoncé) mais une marque d’aspect prospectif car le point de repère peut être un temps de référence dans le passé.

Un contraste supplémentaire entre ap et pral est relevé par Damoiseau (1989) (cité par Véronique 2009) selon laquelle la différence entre ap et pral est plutôt de nature modale :

(3)        a. pral indiquerait une « imminence objective”

  1. ap marquerait l’engagement ou la volition de l’énonciateur quant à la réalisation du procès en cours.

Cette distinction ressemble à la distinction entre futur de prédiction (“imminence objective”) et futur d’intention dans la discussion des types de futur (Dahl 2000). Si ces deux distinctions étaient parallèles, la prédiction serait que pral est préféré à ap avec des prédicats de prédiction clairement non-planifiables et donc pas intentionnels comme

(4)        a.         Ce vase va tomber. (dit en voyant le vase au bord d’une table)

  1. Il va pleuvoir. (dit en voyant des nuages noirs)

Nous n’avons pas encore eu l’occasion de vérifier cette prédiction.

Reférences

Copley, Bridget 2014 2014. Causal chains for futurates. In De Brabanter, Philippe, Mikhail Kissine, and Saghie Sharifzadeh (eds.), Future Times, Future Tenses, pp. 72–86. Oxford: Oxford University Press.

Dahl, Östen, 2000. The grammar of future time reference in European languages. In Dahl, Östen (ed.), Tense and aspect in the languages of Europe, pp. 309–328. Berlin: Mouton de Gruyter.

Damoiseau, Robert, 1988. Élements pour une classification des verbaux en créole haîtien. Études créoles, 11:41–64.

DeGraff, Michel, 2007. Kreyòl ayisyen, or haitian creole. In Holm, John and Peter Patrick (eds.), Comparative Creole Syntax. Parallel outlines of 18 Creole grammars, pp. 101–126. Battlebridge Publications.

Klein, Wolfgang, 1994. Time in Language. Routledge.

Valdman, Albert, 2015. Haitian Creole. Structure, Variation, Status, Origin. Sheffield, UK/ Bristol, CT: equinox.

Véronique, Daniel 2009. L’expression du futur dans les créoles français. Faits de Langues, 33:37–45.

 

Yves Dejean : Ewo anti-kolonyal ki te goumen pou lengwistik rive ede nan mete Ayiti tèt an wo

(Conférence plénière)

Michel DéGraff

Massachusetts Institute of Technology (MIT)

Direktè Inisyativ MIT-Ayiti

Akademisyen / Akademi Kreyòl Ayisyen

Ann Ayiti, genlè pa gen plis pase 5% moun ki pale franse lakay yo depi yo ti katkat, alòs ke se sèl lang kreyòl la ki rele tout Ayisyen chè mèt chè metrès.  E poutan, franse se lang ki pi plis kouche sou papye nan lekòl, inivèsite, jounal, tribinal, biwo leta, e latriye—ata nan inivèsite (tankou Université d’État d’Haïti) ak biwo leta (tankou Ministè Edikasyon Nasyonal ak Office de la Protection du Citoyen d’Haïti) ki ta dwe sèvi ak kreyòl pou edikasyon ak byennèt majorite Ayisyen sa yo ki pale kreyòl sèlman. Baryè lang sa a se yon andikap, depi o pa, pou plis pase 10 milyon Ayisyen sa yo ki pa metrize franse. Sa se youn nan rezon ki fè Ayiti se youn nan peyi sa yo ki soufri pi plis inegalite nan pi gwo nivo mizè.  E poutan, syans lengwistik ak syans edikasyon deja esplike aklè pou ki sa lè lekòl fèt nan yon lang ke elèv yo pa konprann, sa lakòz echèk akademik malouk.

Nan prezantasyon sa a, nou pral egzamine rezon ki fè se sitou nan ansyen koloni puisans ewopeyen yo ke n jwenn lidè politik, entelektyèl ak edikatè ki bay lasyans vag lè yo derefize sèvi ak lang natif natal timoun yo. Ki vle di nou pral mande: Pou ki sa se nan ansyen koloni sa yo ke n jwenn gouvèman ak lekòl k ap bloke devlòpman ekonomik popilasyon sa yo ki deja nan malsite?  (“Lekòl tèt anba nan peyi tèt anba”, selon Yves Dejean.)

Analize orijin “lekòl tèt anba” sa yo pral mennen nou gade divès ipotèz nan lengwistik sou fòmasyon ak chapant lang kreyòl—soti depi nan travay lengwis ewopeyen ki t ap analize lang kreyòl yo pandan peryòd kolonyal la.   Nou pral konpare travay sa yo ak analiz modèn ki toujou ankre nan prejije kolonyal Epi nou pral gade ki kondisyon ki nesesè, jounen jodi a, pou n ta rive mete lekòl nou yo tèt an wo.  Ki vle di:  Ki jan pou n amelyore aprantisaj elèv yo pou yo rive maton nan tou sa y ap aprann—e pou yo rive maton nan lòt lang tou, tankou franse, angle ak panyòl?

Nou pral gade esperyans Inisyativ MIT-Ayiti ki dokimante enpak lang kreyòl Ayiti a nan aprantisaj aktif ki sèvi ak divès kalte teknoloji.  Nou pral analize rezilta travay Inisyativ la soti nan lekòl primè rive nan lekòl segondè ak inivèsite.

Nou ka jwenn yon vèsyon pi long rezime sa a, ansanm ak bibliyogafi, nan jounal Le Nouvelliste (an kreyòl) epi nan jounal Science Magazine (ann angle):

http://lenouvelliste.com/article/187306/wol-lengwis-nan-kore-bon-jan-edikasyon-pou-respe-dwa-moun

http://science.sciencemag.org/content/360/6388/502

 

Les dépendances négatives dans les langues créoles : Constantes et variations

(Conférence plénière)

Viviane Déprez

Tutgers University

La négation et les dépendances négatives sont des sujets d’étude qui ont fasciné et fascinent toujours aussi bien les linguistes que les philosophes, les psychologues et désormais aussi les neurologues. En effet, si l’on sait que la négation est clairement un phénomène linguistique universel, présent dans toutes les langues, la diversité foisonnante de ses manifestations linguistiques ne cesse de surprendre. Souvent marquée par des expressions spécifiques, parfois évoluées de mots qui ne le sont pas, la négation peut aussi être manifestée par des processus phonologiques comme par exemple une nasalisation systématique qui couvre la portée de la négation. Si c’est cette diversité qui fascine, il peut alors paraître singulier que pour les langues créoles, les linguistes se soient surtout penchés sur ce que la négation et les relations négatives ont de commun dans ces langues, en négligeant parfois la riche diversité qu’elles présentent. Ainsi le linguiste D. Bickerton, grand spécialiste des langues créoles a-t-il considéré comme trait caractéristique de ces langues le fait qu’elles manifesteraient toutes la concordance négative, un type de dépendance négative qui se caractérise par le redoublement obligatoire de certains termes négatifs par la négation de phrase, redoublement qui est d’autant plus surprenant qu’il conduit au fait qu’une accumulation de termes négatifs se voit interprétée comme une seule négation sémantique, au défi du principe de compositionnalité sémantique. Considérons la question en (1) et sa réponse.

  • Kimoun ki te vini ? Pèsonn.

Clairement l’expression ‘Pèsonn’ est ici interprétée négativement. Toutefois si la réponse était une phrase, comme en (2), notons que le redoublement de cette expression négative par la négation de phrase serait obligatoire en créole haïtien et n’induirait pas de double négation logique dont le sens serait positif, comme ce serait le cas en Français, mais bien à une phrase négative simple ou la négation de phrase semble ne jouer aucun rôle sémantique, malgré sa présence obligatoire.

  • Pèsonn pat(e) vini.

Ce sont ces relations de concordance négatives ainsi que d’autres formes de négation qui seront l’objet de notre présentation où il sera montré d’une part, que ces relations négatives manifestent bien plus de diversité qu’il ne l’a été soupçonné jusqu’à présent dans les langues créoles, et d’autre part, que cette diversité est, en fait, tout à fait dans la lignée de ce qui s’observe dans d’autres langues non-créoles. Notre approche comparative se focalisera ici particulièrement sur un examen détaillé des relations négatives dans les créoles à base lexicale française.

 

Conditionnement phonologique des pronoms personnels réduits du CH

Mideline Dragon

LangSÉ / FLA-UEH

Cette communication propose d’étudier le comportement des pronoms personnels réduits M / W / L / N / Y du CH sur le plan phonologique. Les données sont tirées des pratiques quotidiennes de locuteurs natifs et certaines ont été construites par nous mais toujours soumises à l’appréciation de locuteurs haïtiens.

Valdman (2015) dit déjà que M est plus libre. Mais, les données que nous avons réunies montrent que les pronoms réduits ne sont pas uniformes. Nous pouvons donc en faire 3 classes : M / W, L, N / Y.

Le pronom réduit M peut être employé devant un verbe ayant un son consonantique à l’initiale (quelle que soit sa caractéristique : homorganique, liquide, fricative, obstruante ou semi-consonne). Bien qu’en position pro-clitique M est plus libre, en position enclitique il est soumis aux mêmes restrictions que W / L / N, c’est-à-dire qu’il ne peut pas être postposé à un verbe ayant en finale un son consonantique.

(1) *Jan remèt              m                     liv        la

Jean          remettre            1SG.RED         livre     DF

(2) Pòl              gade                 m

Paul             regarder            1SG.RED

‘Paul m’a regardé’

Les pronoms réduits W / L / N peuvent apparaître avant un verbe à initiale consonantique seulement quand ils se font précéder d’un morphème à finale vocalique.

(3) Lè               w /                    l /                     n                      vini

CONJ          2SG.RED         3SG.RED         1/2PL.RED       venir

‘Quand tu/ elle (il)  /nous / vous viendras/viendra/ viendrons/ viendrez’

En position objet, les pronoms réduits W / L / N ne peuvent pas être postposées à un verbe ayant en finale un son consonne.

Le pronom réduit Y n’a pas de forme enclitique (ce que Valdman dit déjà) mais nous montrons que pour Y proclitique la qualité de la voyelle joue un rôle.

(4) Y                            achte                anpil                pen

3PL.RED                acheter             INDEF             pain

‘Elles (Ils) ont acheté beaucoup de pains’

(5) Y                anbake             tout                  machandiz        la

3PL.RED    embarquer        INDEF             marchandise     DF

‘Elles (Ils) ont embarqué toute la marchandise’

(6) ?Y                           ede       tout                  moun

3PL.RED                aider    INDEF             monde

(7) ?Y                           ensiste              anpil

3PL.RED                insister             ADV

(8) *Y                          obeyi

3PL. RED              obéir

(9) *Y                          ouvè                pòt       la

3PL.RED              ouvrir               porte    DF

(10)  *Y                       ini        pou                  lavi

3PL.RED unir      PREP               vie[4]

La forme réduite de YO a des restrictions très différentes de M / W / L / N : pas de forme réduite avant les voyelles arrondies et les voyelles hautes.

Aussi, nous avons remarqué que dans certains cas, la forme courte en environnement vocalique n’est pas toujours acceptée.

(11) a. ?*Jak                 pwomèt            m /                   w /

Jacques              promettre         1SG.RED         2SG.RED

l /                       n /                    y                      anana

3SG.RED           1/2PL.RED       3PL.RED         ananas

  1. Jak pwomèt            mwen / ou /

Jacques              promettre         1SG.PLEIN      2SG.PLEIN

li /                       nou /                 yo                    anana

3SG.PLEIN         1/2PL.PLEIN   3PL.PLEIN      ananas

‘Jacques me / te / lui / nous / vous / leur a promis(e) de l’ananas’

(12) a. Se                     nan                  mwa                me       m /                   w /                               C’est                PREP               mois                mai      1SG.RED        2SG.RED

l  /                    n                      venir

3SG.RED        1/2PL.RED     vini

‘C’est au mois de mai que je suis / tu es / elle (il) est / nous

sommes / vous êtes venu(e)(es)(s)’

Les restrictions sur la forme proclitique et la forme enclitique ne sont pas forcément les mêmes. De ce fait, pour chaque pronom il faut deux entrées lexicales distinctes pour les deux formes réduites (proclitique vs Enclitique).

Références bibliographiques

Degraff Michel (2007) Kreyòl Ayisyen, or Haitian Creole (‘Creole French’) in: Comparative Creole Syntax. Parallel Outlines of 18 Creole Grammars. Ed. by John Holm and Peter Patrick. London: Battlebridge Publications.

Degraff Michel, Daniel Véronique (2000), « À propos de la syntaxe des pronoms objets en créole haïtien : points de vue croisés de la morphologie et de la diachronie », in Langages, 34e année, n°138, pp. 89-113.

Pompilus Pradel (1976), Contribution à l’étude comparée du créole et du français à partir du créole haïtien, morphologie et syntaxe, Port-au-Prince : Editions caraïbes.

Valdman Albert (2015), Haitian Creole: Structure, variation, status, origin, Equinox Publishing, Sheffield, UK.

Vernet Pierre (1989), « L’alphabétisation en Haïti : aspect linguistique » in Hommages au docteur Pradel Pompilus, Centre de Linguistique Appliquée, Créole et Développement, Port-au-Prince : Imprimerie Henri Deschamps.

 

Des connaissances sophistiquées en phonétique et phonologie, pour la simplicité et la justesse graphiques de nos langues créoles

Juliette FaCthum-Sainton

ESPE Guadeloupe, Université des Antilles

Dès les tout débuts de la colonisation française, les CBLF ont fait l’objet d’écrits, en alphabet romain, et selon un principe étymologique. Vers la fin des années 1970, en Guadeloupe et en Martinique, sous l’impulsion du GEREC, les sociétés antillaises ont entrepris l’ébauche d’un système d’écriture créole, non étymologique, à l’instar de celle déjà en vogue en Haïti. Cette dynamique a constitué une vraie révolution cognitive en Guadeloupe.

Cependant, les représentations écrites et unités sémantiques du français a été à l’origine de la variation graphique en guadeloupéen : mèt-lékòl, mèt lékòl, et, mètlékòl.

D’autres allégeances imposées aux pratiques d’écriture créoles actuelles sont liées à l’ancrage inconscient des Guadeloupéens dans les règles de phonétique combinatoire du français : l’énoncé, cinquante ans, est phonétiquement réalisé [sɛ̃kãntã]. En guadeloupéen, on écrit senkantan, swasantan « soixante ans », etc., et l’on a tendance à ne pas identifier l’unité « an » de première articulation, mais « tan ».

Mais là où l’aberration se pose, c’est dans la structure syllabique et dans le découpage morphologique « profonds » : katran, en créole s’analysekatr-an, en unités de première articulation et s’analyse, [ka-trã], en découpage syllabiques. Le premier des découpages demeure de l’ordre de l’incohérence analytique, la structure [katr] n’étant pas phonologiquement envisageable en créole.

Quels défis pour une agrégation de créole ou pour une future académie du créole guadeloupéen ! Un tel défi, de mémoire de linguiste, ne s’est jamais présenté.

Notre étude tournera autour de ces réalités, mais évoquera également largement tous les problèmes de graphèmes qui font l’objet de divergences entre Guadeloupéens, mais également entre Guadeloupéens et les autres pratiquants d’un CBLF dans la Caraïbe. Quelques propos seront tenus sur l’allégeance à l’alphabet romain.

Bibliographie

Bernabé Jean : Ecrire le créole I. Première partie. « Ecriture et phonétique » in Mofwaz n° 1, pp. 11-29 : 1977

Bernabé Jean : Ecrire le créole. Ecriture et syntaxe, in Mofwaz n° 2.

Bernabé Jean : La graphie créole. Ibid Rouge, Presses universitaires créoles, GEREC-F, 2001.

Bernabé Jean : Obidjoul, édition Le teneur, 2013.

Facthum-Sainton Juliette : Les langues créoles à base lexicale française de la Caraïbe : phonétique, phonologie et variation, thèse de doctorat, 2006.

Facthum-Sainton Juliette : Manuel de la graphie du créole guadeloupéen. Ki jan pou li kréyòl Gwadloup. Ki jan pou maké kréyòl Gwadloup. 2e édition revue, corrigée et augmentée, 2009.

SGEG : co-auteurs : Juliette Facthum-Sainton, Alain Dorville, Micheline Delacroix : Aprann ékri kréyòl, son a kréyòl, 1983.

SGEG : co-auteurs : Juliette Facthum-Sainton, Alain Dorville, Micheline Delacroix : Aprann ékri kréyòl : lagliyaj é dékoupaj a mo, 1984.

 

 

Éléments de grammaire comparée français-créole : le cas des procédés de mise en relief

Guillaume Fon Sing

LLF – Université Paris Diderot

Cette présentation, qui se situe à l’interface de la linguistique et de la didactique, vise à lancer des pistes d’exploration et d’exploitation de corpus créole en se basant sur des expériences pédagogiques menées ailleurs. Après une rapide introduction à la linguistique contrastive et à ses applications didactiques, nous revenons sur les dispositifs de didactique adaptée/convergente du français dans différentes régions du monde francophone (Afrique et zones créolophones) mis en place par l’OIF, et nous aborderons la description et l’enseignement de différentes structures grammaticales dont plus particulièrement celle des procédés de mise en relief (emphase). Cette présentation se doublera enfin d’une approche descriptive. La présentation des exemples contrastifs sera l’occasion de réanalyser certains procédés et structures qui ont émergé en créole.

Des travaux précédents (cf. Fattier 2008 sur le créole haïtien par exemple) ont montré qu’on retrouvait dans les créoles à base française des moyens linguistiques de mise en relief analogues au français : proéminence prosodique spécifique, construction (pseudo-)clivée, ordre des mots marqué, dislocation (détachement) à gauche, etc. A propos de cette dernière, Marchello-Nizia (2003) souligne que les grammairiens voient dans cette construction un trait qui caractérise le ‘français non standard’ actuel. Attestée dans les textes littéraires du 11e siècle, elle a par la suite changé de signification fonctionnelle : alors qu’elle indiquait au Moyen Age l’introduction d’un nouveau thème ou un changement du thème de l’énoncé, elle est devenue une caractéristique du style parlé en français et sert désormais à marquer la continuation du même thème.

La fonction de cette construction contemporaine est similaire dans les créoles français. Mais il existe aussi des différences notables. Ainsi par exemple, les créoles des Antilles connaissent un type de mise en relief par extraction du prédicat qui consiste en une nominalisation comportant l’adjonction d’un déverbal et l’enchâssement de la proposition au moyen du présentatif se : Créole haïtien : Se manjé m ap manjé. « Manger, voilà ce que je suis en train de faire. »

Qu’en est-il du créole mauricien de la zone Océan indien ? A partir de données empiriques issues d’un corpus oral et d’un corpus écrit, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : quels sont les procédés de topicalisation et de focalisation dans cette langue ? Les procédés linguistiques de mise en relief sont-ils exactement les mêmes qu’en français ? Sera notamment étudié l’utilisation de sa (Fr. ‘ça’) en tant que marqueur de topicalisation comme dans : Créole mauricien : Pa mwa sa, li sa. « Ce n’est pas moi, c’est lui ».

Bibliographie

Fattier Dominique, 2008, « Remarques sur le contournement de l’ordre des mots : à propos d’un bolide évolutif, le créole haïtien ». Etudes créoles (1 et 2). L’Harmattan, pp. 73-86.

Marchello-Nizia Christiane, 2003, Le français dans l’histoire. In : Yaguello, Marina (ed.), Le grand livre de la langue française. Paris : Seuil. 11-90.

 

Konbat iletris pou defye soudevlopman

Joseph Marcel Georges

LangSÉ / FLA-UEH

Pifò nan rapò sou kesyon devlopman ki pibliye dènye tan sa yo bay prèy evidans egzistans yon rapò sere sere ant devlopman ak kesyon konn li ak ekri. Rapò PNUD pibliye an 2011 la kote l prezante yon lis 25 peyi ki pi devlope sou planèt tè a bay yon prèv klè lè n konpare l ak yon rapò ONU soti an 2014 kote n jwenn pifò nan 25 peyi ki pi devlope yo pami peyi kote to moun ki konn li ak ekri yo pi wo ; tandiske 25 peyi ki pi pòv yo, pifò ladan yo se peyi ki pote lamayòl nan peyi ki gen plis moun ki pa konn anyen nan fèy malanga. An Ayiti,  menm pami sa ki kwè yo konn li ak ekri yo, anpil nan yo tonbe nan kategori Govain (2017) rele analfabèt fonksyonèl.

Anpil travay rechèch pwouve konba kont iletris se yon mwayen kle pou n konbat soudevlopman. Freinet (1975) ak Reboullet (1971) p ap demanti nou si n di sa. Deplwaye yon veritab batay pou plis moun konn li ak ekri kòmsadwa ap pèmèt Ayiti chanje figi l. Men pou batay sa a posib, pwoblèmatik lang matènèl la se prensipal kesyon an, akoz dapre anpil etid, absans lang lari a nan aprantisaj se prensipal koz alabaz defi byen konn li ak ekri a. Pami etid sa yo nou ka site : Fishman (1971), Dejean (2006), Chapelle & Meuret (2006). Dayè, anpil nan peyi rapò a prezante kòm peyi ki mwens devlope yo se peyi kote lang matènèl pa sèvi kòm lang ansèyman / aprantisaj.

Malerezman, Ayisyen pran plezi koupe rechèch lasyans bèl kout je. Nonsèlman lekòl kontinye ap fèt nan yon lang majorite timoun yo wè sèlman nan liv ak nan kèk fim ; dayè, anpil nan sa ki di yo alfabèt yo plis pran plezi iwonize iletre yo olye yo pote lamenfòt pou gen lekòl ba tout moun tout kouch menm chans nan kesyon lekti ak ekriti. Sa k pi deplorab ankò, sèke Leta a bò kote pa l poko vle wè nesesite tabli baz pou yon veritab politik lengwistik ki valorize lang matènèl la ; sa ki dwe pèmèt moun pi byen konpòte yo nan sosyete a pou yon lòt peyi.

Pou n chita refleksyon sa a, plizyè chèchè pral sèvi nou sipò. Pami yo : Cuq et Gruca (2005), Fishman (1971), Rocher (1968), Martinez (2002), Calvet (1999), Robillard, (1989) ak plizyè lòt ankò. Pretansyon an se rive pi byen chita wòl lang matènèl la nan aprantisaj pou konba kont iletris la reyisi, sa k ap pèmèt peyi a soti nan konsè peyi soudevlope.

 

Distinction sémantique entre anticausatif actif et anticausatif réflexif en créole haïtien

Herby Glaude & Winder Tannisma

LangSÉ, FLA – UEH

L’anticausatif constitue un phénomène linguistique retrouvé dans de nombreuses langues naturelles (cf. Haspelmath (1987) ; Alexiadou (2006) ; Bjarnadóttir (2014)). La littérature autour de l’anticausatif atteste deux stratégies majeures de son expression. Il s’agit, comme illustrés en anglais et en français dans (1) et dans (2), de l’anticausatif actif (ACA) et de l’anticausatif réflexif (ACR).

(1)  a.   The branch broke.

  1.     The branch broke by itself.

(2)  a.   La branche a cassé.

  1. La branche s’est cassée.

Les constructions anticausatives dans (1a) et (2a) se font sans marquage morphologique, alors que dans (1b) et (2b), l’anticausatif se construit respectivement avec l’occurrence du PP ‘by itself’ et le pronom clitique s’ mis pour ‘SE’. Les deux servent à produire une réflexivité.

En créole haïtien (CH), les deux constructions sont possibles :

(3)  a.   Branch    bwa   a    kase

Branche  bois  DF casser

‘La branche a cassé.’

  1. Branch    bwa    a     kase     pou      kò       l

Branche   bois  DF  casser   pour   corps  3SG

‘La branche s’est cassée toute seule.’

Ce couple de phrases créoles en (3) est une traduction des exemples anglais et français illustrés plus haut. La brève analyse effectuée pour le compte de l’exemple (4) est valable pour elles.

(4)  a.   Kay         la      pran      dife.

Maison   DF   prendre    feu

‘La maison a pris feu.’

  1. Kay         la      pran      dife    pou     kò       l.

Maison   DF   prendre   feu     pour  corps  3SG

(i)   ‘La maison a pris feu toute seule.’

(ii)  ‘La maison s’est enflammée toute seule.’

Dans la phrase créole (4a), il se présente une construction anticausative morphologiquement non-marquée, tandis que dans (4b), c’est le syntagme pou kò + pro exprimant ici une réflexivité qui marque l’anticausatif réflexif. Notons par ailleurs que le syntagme en question possède deux significations : celle de seul et celle sans aucune aide extérieure. Il est ainsi l’équivalent du PP by itself de l’anglais.

Etant donné qu’il existe deux manières d’exprimer l’anticausatif en CH, nous pouvons dès lors nous interroger sur la valeur distinctive du PP haïtien ou, en d’autres termes, sur la différence qu’il permettrait d’établir entre l’AC actif et l’AC réflexif.

Le but de la contribution est de proposer une distinction pertinente entre l’ACA et l’ACR. Pour une langue comme le français où cette problématique a été étudiée. Plusieurs linguistes (Zribi-Hertz (1987) ; Lagae (1990) ; Labelle (1992) ; Dobrovie-Sorin (2006) ; Kayne (2009)) estiment que l’opposition entre les deux constructions vient du fait que la première met l’emphase sur l’autonomie du procès et que la seconde met le focus sur le résultat du procès.

Dans le cas du CH, nous nous basons sur les notions de ‘cause interne’ et de ‘cause externe’ élaborées dans Levin & Rappaport-Hovav (1995) à partir de Smith (1970). Nous faisons l’hypothèse que l’anticausatif actif présente un événement dans lequel la cause est externe à l’argument-sujet, alors que l’anticausatif réflexif indique par l’occurrence du PP de manière pou + pro que la cause est interne à l’argument-sujet. Ainsi, l’occurrence du PP trahit la restituabilité d’une entité non-agentive/causative prévue par Haspelmath (1993).

Le travail sera reparti en plusieurs sections : la première est une brève revue de la théorie autour de l’anticausatif. La deuxième exhibe des définitions morphosyntaxique et sémantique de l’anticausatif. La troisième concerne la présentation de Smith (1970) et la dernière concerne l’étayage de nos analyses sur la différence entre l’ACA et l’ACR. Enfin, nous démontrerons une éventuelle contrainte dans la notion de cause interne.

 

Analyse énonciative référentielle : vers un gabarit génératif pluridimensionnel du créole haïtien

Frantz Gourdet

FLA – UEH

Un énoncé vu comme l’expression orale ou écrite d’une pensée est une suite d’instanciations de paradigmes et de référencements auxdites instanciations. Cette suite ne s’appréhende pas en structure rectiligne ou arborescente. Elle se déploie sous forme d’empilement d’anneaux dont les mailles sont elles-mêmes annulaires. Ce « point de vue » résulte d’une modélisation non euclidienne de la linéarité inhérente au discours.

Nous décrivons ce modèle baptisé analyse énonciative référentielle en le formalisant mathématique-ment pour en déduire une empreinte paradigmatique caractérisant la langue haïtienne (LH). Cette empreinte est isolée en conformation de gabarit calé à partir de faits de langue. Ce gabarit multidimensionnel s’étend sur trois champs d’énonciation décrits dans l’article. Il englobe l’ensemble des catégories fonctionnelles ainsi que les structures conceptuelles mises en œuvre dans la formation des énoncés.

L’analyse est ici appliquée à la production et à la réception interprétative d’énoncés issus de traductions et de textes originaux écrits en LH ainsi que de la transcription de fragments de lodyans de Sixto.  L’énoncé est l’objet premier de cette analyse qui introduit un formalisme référentiel relativiste, sortant du cadre de l’unité-phrase. Ce formalisme reste pour autant apte à traduire la linguistique classique d’une grammaire générative ou fonctionnelle ou encore de dépendance au sens de Tesnière, tout en s’affirmant à ordre totalement révélé (pas d’ « ordre caché »).

Nous discutons enfin de la systématicité et des capacités prédictives du modèle en l’utilisant pour résoudre d’apparentes contradictions ou difficultés linguistiques mais aussi pour en tirer des résultats grammaticaux et orthographiques analytiques à visée normative.

 

La palatalisation en créole haïtien : rôle des influences substratiques de langues du groupe gbé

Renauld Govain

LangSÉ/ FLA-UEH

Je traite sous la notion de la palatalisation plusieurs phénomènes : la palatalisation elle-même, la lénition, la spirantisation, l’assibilation, l’affricativisation (ou affrication), la chuintisation, la « yodisation ». La palatalisation, déplacement du point d’articulation d’un phonème au niveau du palais dur (soit sous l’action assimilatrice d’un phonème palatal contigu, soit pour des raisons de commodités articulatoires), est récurrente en créole haïtien (CH). Certains auteurs (Valdman 1978 ; Tinelli 1981 ; Parkval 2000 ; Fattier 2000) l’ont évoquée mais n’y entrent pas en profondeur. Elle se révèle, dans certains cas, systématique lors du passage du français au CH. Par exemple, les acteurs de l’émergence du CH n’ont pas sélectionné les voyelles labiales antérieures du français. Ils les ont confondues avec les voyelles palatales non labiales qui leur correspondent à chacune. Elle tient au fait que dans leurs langues premières ces voyelles arrondies antérieures n’existent pas et que leurs correspondantes non labiales – ici les palatales – existent. Par exemple, dans l’inventaire du système phonologique du fon établi par Capo (1991) et, à sa suite, Brousseau et Lefebvre (2002), Fadaïro (2001), Cruz et Avolonto (1993), ces labiales antérieures n’existent pas. Donc, la palatalisation peut être le résultat d’influences substratiques des langues africaines en présence du français au moment de l’émergence du CH à Saint-Domingue, même si le français a, dans son évolution, connu le phénomène.

Il existe aussi des cas de palatalisation pouvant être corrélés à des contextes phonologiques. C’est le cas, par exemple, de l’affricativisation des vélaires [k] et [g] devenant respectivement [ʧ] et [ʤ] devant les voyelles palatales : /ekyme/ > [ʧimɛ̃] (écumer), /ke/ > [ʧe] (queue), /kɛ̃kaj/ > [ʧɛ̃kaj] (quincaille), /legym/ > [leʤim] (légume), /gɛp/ [ʤɛp] (guêpe), etc. Demême, les occlusives /t/ et /d/ ont une certaine tendance à l’assibilation devant /i/ ou /j/ : /pitimi/ > [piʧimi] (millet), /diabl/ > [ʤab] (diable). Ou encore, la transformation des voyelles [u] et [a] dans un environnement palatal devenant respectivement [i] et [ɛ]. Par ailleurs, la latérale [l] issue de la forme courte du pronom li, les sifflantes /z/ et /ʒ/, par ex., peuvet devenir[j] dans la pratique de certains locuteurs.

Cette communication étudie la palatalisation en CH en analysant les apports substratiques africains. Elle élabore des règles de la palatalisation en établissant les contextes dans lesquels elle se produit généralement. Le corpus provient de données enregistrées à l’occasion d’enquêtes notamment dans le nord et du Diksyonè Kreyòl Vilsen (2008).

Références citées

Brousseau Anne-Marie & Lefebvre Claire (2002), A Grammar of Fongbe, Berlin, De Gruyter Mouton.

Capo HounkpatiB. Christophe (1991), AComparative phonology of gbe, Berlin, De Gruyter Mouton.

Cruz Maxime da et Avolonto Aimé, (1993), Un cas d’harmonie vocalique en fongbè. In Kihm Alain et Lefebvre Claire (éds), Aspects de la grammaire du fongbè : études de phonologie, de syntaxe et de sémantique, Paris, Peeters, 29-47.

Fadaïro Dominique (2001), Parlons Fon, langue et culture du Bénin, Paris, L’Harmattan.

Fattier Dominique (2000), Contribution à l’étude de la genèse d’un créole : L’Atlas Linguistique d’Haïti, cartes et commentaires, Paris, Presses universitaires du Septentrion (6 vol.).

Parkvall Mikael, 2000, Out of Africa. African influences in Atlantic Creoles, London, Battlebridge Publications.

Tinelli, Henri-Victor (1981), Creole phonology. The Hague; New York: Mouton.

Valdman Albert (1978), Le créole : structure, statut et origine, Paris, Klincksieck.

 

 

L’analogie comme stratégie de neutralisation du style archaïsant en contexte de discours juridique

Rochambeau Lainy & Monferrier Dorval

LangSÉFLA-UEH

La syntaxe, les tournures et la terminologie que les hommes de loi utilisent semblent donner au langage juridique un caractère inaccessible. Le vocabulaire utilisé impose une contrainte en ce qu’il est fait d’un langage technique de spécialité, et justifie un besoin en ce qu’il suggère une nécessité d’atteindre un public fait d’initiés et de non initiés. Le style archaïsant et argotique du langage juridique, pourvu de technicité et de spécificité indéniable, impose ce que Sperber et Wilson appelleraient un effort de traitement. Témoignant de la fonction sociale de ce langage, l’expression « Nul n’est censé ignorer la loi » montre toutefois combien ce langage est bien un langage public et qu’il n’est pas si inaccessible que l’on pourrait l’imaginer. Les tournures et vocabulaires utilisés en contexte d’activités et de pratiques juridiques, sont accessibles et se dissipent par la mise en relief d’un sous-système langagier fait d’analogie que même les non initiés parviennent à décoder. En cherchant à convaincre et avoir gain de cause, les hommes de loi transforment et créent ce sous-système dépouillé d’archaïsmes, ils neutralisent par moments le style éreintant et s’appuient sur les similitudes pour atteindre les interlocuteurs.

Par cette contribution, nous tentons d’étudier des faits de langue en créole haïtien, relevant du domaine juridique, articulés autour du principe analogique de construction du sens et d’élaboration de la pensée. Un corpus fait d’extraits de discours juridiques sera analysé en vue de montrer que le caractère technique et spécifique du langage juridique ne l’empêche pas d’atteindre les non initiés, grâce au procédé analogique mis en place.

Références sélectionnées

BRÉAL Michel, 1897/1924, Essai de sémantique (science des significations), Paris : Hachette.

CITU Laura,2007, « Le langage juridique : enjeux pour la linguistique et la didactique », http://www.diacronia.ro/ro/indexing/details/A5583/pdf

HOFSTADTER Douglas et SANDER Emmanuel, 2013, L’Analogie, le cœur de la pensée. Paris :   Odile Jacob.

PLANTIN Christian, 2011, « Analogie et métaphore argumentatives », A contrario, vol. 16, no. 2, p. 109 – 130.

ULLMANN Stephen, 1952/1959, Précis de sémantique françaiseBerne, Francke.

VICTORRI Bernard et FUCHS Catherine, 1996, La polysémie – construction dynamique du sens, Hermès, 131 pages.

SAUSSURE Ferdinand de, /19161975, Cours de linguistique générale (1906-1911), Paris : Payot.

SPERBER Dan et WILSON Deirdre, 2004, La pertinence, communication et cognition, Paris : Les Éditions de Minuit.

 

 

Wòl Akademi Kreyòl Ayisyen an nandevlopman syantifik lang kreyòl la :  bilan ak pèspektiv

Frenand Léger

Carleton University

Atik 213 nan Konstitisyon 1987 la mande pou Leta kreye yon akademi ki dwe travay pou « devlopman syantifik » lang kreyòl la. Nan mwa desanm 2014, yo te fè ouvèti ofisyèl yon enstitisyon leta ki otonòm e ki rele Akademi Kreyòl Ayisyen (AKA). Soti desanm 2014 pou rive jounen jodi a, sa fè plis pase 4 lane depi AKA ap fonksyonnen nan peyi a gras a bidjè Leta ayisyen. Nan Lwa pou kreyasyon Akademi Kreyòl Ayisyen an, atik 11 ak atik 12 la detaye misyon oswa travay enstitisyon an genyen pou l fè. Lè nou analize atik 11 lan, nou jwenn 12 pwen diferan ki detaye misyon AKA. Nan premye pwen an, yo ekri AKA genyen misyon pou li « Fè tout sa ki nesesè pou ankouraje pwodiksyon nan lang kreyòl la. » Nan twazyèm pwen an, yo di AKA dwe « Fè tout sa ki nesesè pou fè kreyòl la gen bonjan reyonman ak prestij nan je popilasyon ayisyen an ak nan je lòt popilasyon yo. » Setyèm pwen an li menm mande pou AKA « Ankouraje travay sou devlopman zouti tankou gramè, diksyonè, leksik nan tout domèn ». Nan onzyèm atik la, yo mande pou AKA « Ankouraje epi pwopoze bonjan travay rechèch sou lang kreyòl la ».

Pandan 4 lane depi AKA ap fonksyonen gras a lajan Leta ayisyen, ki dispozisyon dirijan yo pran pou AKA ankouraje epi patisipe nan pwodiksyon travay akademik oswa syantifik ki ta kapab kontribiye nan « devlopman syantifik » lang kreyòl la dapre atik 213 ki nan Konstitisyon 1987 la? Èske baz òganizasyonèl ak mòd fonksyònman AKA mete l nan pozisyon pou l ranpli misyon l ki detaye nan Lwa pou kreyasyon Akademi Kreyòl Ayisyen an? Objektif nou nan kominikasyon sila a, se jwenn repons pou kesyon fondamantal sa yo dapre prensip objektivite ki gide travay rechèch syantifik. Nan sans sa a, n ap analize, dapre yon demach endiktif (démarche inductive), tout done piblik ki disponib sou AKA, san konte lòt done mwen genyen kòm ansyen manm komisyon syantifik AKA a. Pami dokiman k ap sèvi nou kòm sipò pou alimante refleksyon nou sou wòl AKA nan « devlopman syantifik » lang kreyòl la, genyen Lwa pou kreyasyon Akademi Kreyòl Ayisyen an, Ak kòlòk sou Akademi kreyòl ayisyen an, Premye rezolisyon sou òtograf lang kreyòl ayisyen an, bilten AKA yo, plis lòt kominikasyon ofisyèl yo pibliye sou sitwèb AKA ak sou paj Facebook enstitisyon an. Epitou, n ap analize plizyè atik opinyon yo pibliye nan laprès sou AKA. Se tout done sa yo ki pral ban nou yon konesans a posteriori sou sistèm òganizasyon ak mòd fonksyònman AKA ke nou pral pataje avèk piblik la pandan kòlòk la.

Kèk eleman referans bibliyografik

Bentolila Alain, Gani Léon, (1981), Langues et problèmes d’éducation en Haïti. Langages, 15e année, n°61,. Bilinguisme et diglossie. pp. 117-127. http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1981_num_15_61_1871.

Berrouët-Oriol Robert, (2017), Les grands chantiers de l’aménagement linguistique d’Haïti (2017 –2021). Sibwèb Berrouët-Oriol, 7 février, http://www.berrouet-oriol.com/linguistique/politique-linguistique-d-etat

Berrouët-Oriol Robert, (2014), L’Académie créole : « lobby », « ONG » ou institution d’État sous mandat d’aménagement linguistique ? AlterPresse, 15 novanm, http://www.alterpresse.org/spip.php?article17317#.WmSqfSOZO9Y

Berrouët-Oriol Robert, (2014), Pour une Académie créole régie par une loi fondatrice d’aménagement linguistique.Sibwèb Berrouët-Oriol, 26 novanm, http://www.berrouet-oriol.com/linguistique/academie-du-creole-haitien

Berrouët-Oriol R., Cothière D., Fournier R., St-Fort H., L’Aménagement linguistique en Haïti: Enjeux, défis et propositions, Edisyon CIDHICA, 2011.

Boyer Henri, (1991), Éléments de sociolinguistiques. Paris, Dunod.

DeGraff Michel, (2017), Repons Michel DeGraff pou Dwayen Renauld Govain (Fakilte Lengwistik Aplike, UEH) sou Premye Rezolisyon AKA sou òtograf kreyòl. Sitwèb Facebook, 30 jen, https://www.facebook.com/notes/michel-anne-frederic-degraff/repons-michel-degraff-pou-dwayen-renauld-govain-fakilte-lengwistik-aplike-ueh-so/10155518302018872

DeGraff Michel, (2017), Repons Michel DeGraff pou Zefi Lemèt, (Fakilte Lengwistik Aplike, UEH) sou Premye Rezolisyon AKA sou òtograf kreyòl. Sitwèb Facebook, 19 jen, https://www.facebook.com/michel.degraff/posts/10155479299528872

Dejean Yves, (2011), Déménagement linguistique. AlterPresse, 30 jiyè, http://www.alterpresse.org/spip.php?article11343

Deshommes Fritz, (2014), Èske se Prezidan Repiblik la ki dwe enstale Premye Akademisyen Lang Kreyòl Peyi d Ayiti yo ? AlterPresse, 24 novembre,  http://www.alterpresse.org/spip.php?article17352

Govain Renauld,(2017) Konprann “Premye rezolisyon sou òtograf lang kreyòl ayisyen”an.  AlterPresse, 28 juin,http://www.alterpresse.org/spip.php?article21797#.WVZ1O7Rd73N

Lafontant Jack Guy, (2017), Déclaration de Politique Générale, mars 2017.

Leger Frenand, (2013), Fè pwomosyon ekri nan lang kreyòl ayisyen an: poukisa epi kouman?. In Govain R. (eds.), Akademi Kreyòl Ayisyen : Ki pwoblèm, Ki avantaj, Ki defi, Ki avni? Port-au-Prince, State University of Haiti Press, 213-230.

Leger Frenand, (2011), Création de l’Académie du créole haïtien : futilité ou utilité sociale?AlterPresse, 29 oktòb, http://www.alterpresse.org/spip.php?article11816

Saint-Germain Michel, (1988), La situation linguistique en Haïti, bilan et prospective. Éditeur officiel du Québec.

Saurey Éric, (2012), Observations critiques sur la proposition de loi relative à la création d’une Académie du créole haïtien. Sibwèb Berrouët-Oriol, 12 oktòb, http://www.berrouet-oriol.com/linguistique/academie-du-creole-haitien/observations-critiques-eric-sauray

Valdman Albert, (2005), Vers la standardisation du créole haïtien. Revue française de linguistique appliquée, N°1, Vol. X, 39-52.

Zefi Lemèt, (2017), Analiz rezolisyon Akademi kreyòl ayisyen an sou òtograf kreyòl la. Siwèb Berrouët-Oriol, 20 jen, http://berrouet-oriol.com/uncategorized/otograf-kreyol-ayisyen/

 

Créoles, éducation en langues vernaculaires, et développement économique dans les pays du Sud

(Conférence plénière)

Salikoko S. Mufwene

University of Chicago

Depuis à peu près deux décennies, surtout dans le discours sur les langues en danger et leur revitalisation, les linguistes du Nord parlent de plus en plus de la nécessité de scolariser les enfants dans leur langue maternelle, leur vernaculaire, plutôt que dans la langue officielle, qui pour la plupart est un outil de communication étranger qu’ils ne maitrisent pas (encore). La justification d’un tel plaidoyer est évidente : les apprenant-e-s comprennent mieux les contenus de l’enseignement et peuvent participer davantage aux activités scolaires dans la langue qu’ils/elles maîtrisent le mieux. Ce que les linguistes n’abordent pas (suffisamment) est la faisabilité de leurs recommandations en ce qui concerne le coût du programme ainsi que l’usage que les élèves, et plus tard les étudiant-e-s pourront faire de ce qu’ils ont appris en langue maternelle/vernaculaire une fois qu’ils ont fini leurs études, obtenu leurs diplômes et se retrouvent sur le marché du travail. Quelle est la langue de travail dans les secteurs privilégiés de l’économie nationale, notamment ceux appartenant au secteur secondaire et tertiaire, et au gouvernement ? Le marché du travail encourage-t-il l’enseignement en langue maternelle/vernaculaire. La réforme en matière de langue devrait-elle commencer à l’école ou sur le marché du travail et dans les structures gouvernementales et administratives de l’État ? S’agissant des coûts, un système scolaire excellent requiert un financement très adéquat de la part de l’Etat. Ce dernier présuppose un bon développement économique qui touche l’ensemble de la population. Peut-on recommander des réformes scolaires et universitaires sans exiger un développement économique total et durable ? La réforme du travail en matière de langue devrait-elle vraiment attendre la réforme scolaire, ou devrait-elle plutôt la précéder ? Etc., etc.

 

Kreyὸl ak fransè nan pratik sosyal ak jiridik (1791-2011) ann Ayiti :

Tèks fondatè dwa “lengwistik” ak “dwa kiltirèl” ayisyen

Martineau Nelson

LangSÉ, FLA-UEH

Kominikasyon sa pwopoze yon lekti sou pratik ‘glotofobi’ ayisyen selonkòpis tèks legal yo. Se yon analiz glotopolitik ki lyannen dwa « lengwistik » ansanm ak dwa kiltirèl » ayisyen soti 1791 rive sou Konstitisyon 1987 la, amande an 2011. Kòpis tèks legal yo pèmèt nou poze pwoblèm sou pratik dwa ak diskriminasyon lengwistik ant « kreyòl ak fransè » selon kèk kritè fòmèl ak enfὸmèl nan domèn piblik kou domèn prive. Obsèvab kòpis la ak kontèks itilizasyon de (2) lang yo se pwen fokal analiz la nan sis (6) etap :

  1. Pratik glotopolitik kreyὸl ak fransè soti 1791 rive 2011 sou Konstitisyon 1987 amande a (kòpis, griy obsèvasyon ak analiz)
  2. Kreyolofobi ak frankofobi : doub ankraj glotopolitik nan kontèks Ayisyen
  • Espas esklizif nan dominasyon ant pratik fòmèl ak pratik enfòmèl : repatisyon / tansyon espas vital nan mitan de (2) lang yo.
  1. Doub difikilte nan pratik sosyal yo: pwoblèm ekri kreyòl sou papye Leta ak pwoblèm pale fransè sou beton an.
  2. Konsekans pratik sou mache lengwistik ak kiltirèl Ayisyen soti 1791 rive 2011 sou Konstitisyon 1987 amande a.
  3. Pozisyon entans glotopolitik yo nan mouvans pratik glotofobi Ayisyen an.

Difikilte nan pratiksosyal de (2) lang yo revele diskriminasyon ak ensekirite nan pale franse yon bὸ epi diskriminasyon ak ensekirite nan ekri kreyòl yon lὸt bὸ. De (2) pwoblèm sa yo antrave travay administratif anndan Enstitisyon peyi d Ayiti sou baz ekriti fòmèltankou : tèks legal, kont randi, rapὸ, sikilè, afich, lèt, sentèz, elatriye. Diskriminasyon kont lang ak ensekirite lengwistik lyannen ak istwa zile d Ayiti. Kòpis tèks legal se sous k ap ede nou li Ayisyen dantan ak Ayisyen jodi.

 

Analiz Sosyolengwistik lodyans Moris Siksto : « Men yon lòt lang »

Ethson Otilien

FASCH, Centre Challenges

Lodyans se youn nan kalite lapawoli ki soti nan tradisyon oral Ayisyen. Se yon mòd rakontaj Ayisyen envante pou li rakonte lavi l, jan l ap viv, ak sa ki pase kote l ap viv. Li agremante l pou l ka fè l parèt bèl e amize moun toutpandan l ap denonse yon seri pwoblèm grav k ap devlope nan sosyete a. Moris Alfredo Siksto se youn nan lodyansè ki pi enpòtan nan finisman 20tyèm ak koumansman 21yèm syèk la pa rapò ak enfliyans li genyen sou sosyete a, konsyans sosyal li rive devlope kay moun montre sa aklè. Apa yon seri lodyans ki pale de yon seri pwoblèm sosyal, youn nan lodyans li konpoze ki dwe enterese moun k ap etidye lang se lodyans Men yon lòt lang nan. Lodyans sa a souliye aklè yon seri fenomèn sosyolengwistik tankou ipèkoreksyon, ensekirite/sekirite lengwistik, melanj lang ak entèferans lengwistik ki se rezilta migrasyon yon seri Ayisyen nan peyi Etazini. Fenomèn sa yo se sentòm kontak lang : angle, kreyòl (ak franse). Depi gen omwen de oswa plizyè lang ki an kontak youn ap toujou enflyanse lòt. Annefè, konpozitè lodyans sa a rive montre fenomèn sa yo yon fason vivan atravè sa li rele yon lòt lang nan. Lodyans sa a ilistre trè byen ki jan varyasyon lengwistik mache ansanm ak varyasyon reyalite sosyal yo, se sa ki esplike varyasyon ki gen nan mòd pale yon seri Ayisyen ki migre al Etazini. Analiz lodyans sa a revele nou kouman Ayisyen rive kreye « yon lòt lang » apati estrikti lang ni, kreyòl, li itilize mo ak melanj estrikti angle, kèk fwa franse nan kontèks migrasyon Ozetazini. Anplis nou rive konprann ki jan varyasyon kreyòl la fèt nan kontèks Etazini, men tou analiz la pèmèt nou konprann apre lang kreyòl la lodyans se youn nan pi gwo eleman pou kenbe lyen sosyal ant Ayisyen men lodyans lan, kòm mòd rakontaj, kapab ede nou rekoud tisi sosyal pèp ayisyen an epi lonje sou yon seri fenomèn lasyans pale de yo.

 

Pour une approche générative de la variation phonologique en créole haïtien

Jocelyn Otilien

LangSÉ/ FLA-UEH

Quand des segments linguistiques sont combinés pour former des unités de structure plus complexe, ils sont sujets à changement[5]; ce changement peut conduire à la variation[6] qui est la coexistence de deux ou plusieurs formes d’un même élément linguistique (sémantique) à l’état synchronique de la langue[7]. La variation peut avoir lieu à n’importe quel niveau de la langue : phonologique, morphosyntaxique ou lexico-sémantique[8].

Considérons l’énoncé suivant : /mwɛ̃patediubɔbpapbwɛbjɛ/

  • Mwen pa         te          di       ou   bòb          p        ap          bwè     byè

1S          NEG    Passé    dire    2S   Robert    NEG   aspect    boire    bière

(Je t’avais dit que Robert ne buvait pas de la bière.)

Admettons que certains locuteurs produisent: [mwɛ̃patdiubɔbpapbwɛbjɛ], effaçant le /e/ entre /t/ et /d/; que d’autres utilisent la forme courte [m] au lieu de /mwɛ̃/ et transforment le /iu/ en /iw/, ceux-là produisent: [mpatdiwbɔbpapbwɛbjɛ] et qu’une dernière catégorie de locuteurs tendent à enlever le /e/ entre /t/ et /d/, garder le /m/, voiser le /p/ et le /t/ qui deviennent [b] et [d] et changer le /iw/ en un [u:] long, émettant par conséquent l’énoncé de la manière suivante : [mbaddu:bɔbbabwɛbjɛ].

Ces différentes réalisations de la forme pleine de l’énoncé – de l’alternant de base ou de la forme sous-jacente[9], selon Bloomfield (1933) – sont des « formes de surface », appelées formes réduites dans (Govain : 2014), constituées à partir de la « forme sous-jacente »[10]. Les particularités phoniques qu’on observe au niveau de ces réalisations n’altèrent en aucun cas leur sens[11] par rapport au sens de départ de l’énoncé initial, elles nous indiquent par ailleurs que le CH est a priori astreint à des variations phonétiques de différents ordres, potentiellement dérivables à travers des règles phonologiques et définies par des contraintes qui font partie de la grammaire universelle.

lI s’agit dans cette recherche de : mettre à l’évidence les règles phonologiques qui génèrent les variations en utilisant la théorie autosegmentale classique (Goldsmith : 1990) ; faire ressortir les limites de ces règles ; déterminer les contraintes qui conditionnent les variations tout en relevant à partir de la théorie de l’optimalité (OT) (Prince et Smolenski : 1993) les mécanismes mis en place par la langue pour sélectionner un candidat parmi toutes les formes générées par le CH.

En résumé, il s’agit de résoudre avec OT les problèmes spécifiés par l’approche autosegmentale dans l’étude de la variation phonologique en CH ou du moins utiliser OT pour pallier les difficultés liées aux limites de la phonologie autosegmentale classique.

 

Références

  1. Prince et P. Smolenski, 1993, Optimality theory : constraint interaction in Generative Grammar, Rutgers University Center for Cognitive ScieneTechnical Report 2;

Gudrun Ledegen et Isabelle Léglise. Variations et changements Linguistiques. Wharton S., Simonin J. Sociolinguistique des langues en contact, ENS, Editions, pp. 315-329, 2013 <halshs-00880476> ;

J.-A. Goldsmith, 1990, Autosegmental and Metrical phonology, 1ère edition, Basil Blackwell Ltd, OXFORD, UK;

  1. B. De Cavarlho, N. Nguyen et S. Wauquier, 2010, Comprendre la phonologie, PARIS, Presses Universitaires de France ;
  2. Bloomfield, 1933, Language, The University of CHICAGO;
  3. Govain, 2014, Dialectogie : variation et changement linguistique, cours, Université d’État d’Haïti, PORT-AU-PRINCE ;
  4. A. Schane, 1973, Generative phonology, PRENTICE-HALL, INC., Englewood Cliffs, New Jersey ;
  5. S. Mufwene, 2001, The ecology of language, Cambridge University Press.

 

Pou redui imaj ak diskou ki blofe konpetans elèv ayisyen. Ki apwòch pou anseye ni fòm kreyòl ni fòm franse sou ban lekòl ?

Bonel Oxiné
LangSÉ / FLA-UEH ; UNS & UA

Objektif nou nan kontribisyon sa a, se montre lè lekòl ayisyen pa sèvi ak kreyòl pou esplike fòm li ansanm ak fòm franse nan ansèyman franse se pa sèlman echèk nan nivo aprantisaj lang sa a ak aprantisaj lòt disiplin yo anseye lekòl, sistèm edikatif ayisyen an ap konte (P. Vernet, 2008 ; Yves Déjean, 2005). Sa lakoz tou ni etidyan ni elèv pa esplwate richès tou de lang yo genyen toutbon vre. Nan prezantasyon nou an, nou pral chita sou lang kreyòl yon jan apa, poutèt se lang sa ki prezan tout lè kay elèv kou etidyan ayisyen ki ap evolye nan sosyete a, yon mannyè pou nou montre enfliyans kreyòl ayisyen an sou franse elèv ayisyen. Se li tout popilasyon ayisyen an tande, li pale chak jou, se li tou li konprann. Mete sou sa, Konstitisyon 1987 la di, li se lang ki jwe wòl siman pou simante popilasyon an ansanm. Diferans ak resanblans tou de lang yo ki ap viv kòtakòt prezante ta dwe atire atansyon ni anseyan ni elèv, san bliye atansyon divès lòt espesyalis ki ap travay nan sistèm edikatif ayisyen an (P. Pompilus, 1985). Pou kore pozisyon nou an, nan lide yon analiz konpare, nou ap wè kèk fot kreyòl ayisyen an pouse Ayisyen kou Matinikè fè nan lang franse (B. Oxiné, 2016 ; J. D. Bellonie, 2007). Fot sa yo pouse nou di ansèyman ak aprantisaj franse pa ta dwe fèt san yon bon nivo nan konesans lang kreyòl, paske konesans sa yo pral sèvi baz pi devan pou evite anpil fot an franse epi itilize lang yo selon fonksyònman yo. Gen plizyè sitityasyon ki ka esplike rezon ki fè yon bon kalite edikasyon pa ko rive fèt an Ayiti men nou ap plis ensiste sou vayevyen ki gen nan mitan kreyòl ak franse, epi ki ka rezon ki fè yon franse lekòl oubyen yon franse akademik poko rive pran pye an Ayiti (C. Bavoux epi al, 2002 ; N. Jean-Jacques et B. Oxiné, 2016 ; P. Vernet, 2000 ; S. Wharton, 2003). Fot sa yo ta sipoze pouse kit inivèsite kit lekòl bay etidyan kou elèv yon ansèyman ki ap pèmèt yo rive pwofite yon ansèyman ki chita sou apwòch ki pral itil elèv kou etidyan pou vi reyèl. Anpil refleksyon pouse nou sipoze pou nou rive viv esperyans yon bilengwis efektif, li ta bon pou lekòl anseye de lang yo apati ouvraj ki gade jan tou de lang yo fonksyone. Sitiyasyon sosyolengwistik ayisyen an mande aplikasyon amenajman lengwistik (R. Berrouët-Oriol, 2011 ; R. C. Doucet, 2000). Nan sans sa a, yon apwòch Sosyodidaktik bilengwis ayisyen ka pote limyè tou nan ansèyman tou de lang yo an Ayiti (C. Cortier, 2009 ; Dolz-Mestre et F. Tupin, 2011; S. El Karouni, 2012).

 

Les modalités du futur en créole haïtien

Moles Paul

LangSÉ / FLA – UEH

En créole haïtien (CH), le futur peut être exprimé par les marqueurs ap, ava et pral. Ap est généralement décrit comme un morphème exprimant un futur certain et ava un futur incertain (Valdman, 1978 ; Damoiseau, 2005). La valeur modale de pral en CH n’a pas vraiment été étudiée jusqu’ici. Exprimerait-il un futur certain ou incertain ? Nous montrerons que le couple certain/incertain présenté généralement pour décrire ap et ava ne tient pas lorsqu’on veut comprendre ce qui différencie pral de ces autres marqueurs. En nous basant sur les travaux de Copley (2005 ; 2009), nous proposerons une autre lecture (modale) de ces marqueurs.

Lorsque ap exprime le futur, son utilisation est liée forcément à une intention en cours et/ou la réalisation du procès est déjà sous la responsabilité de l’univers (principe d’inertie). Il parait difficile d’empêcher sa réalisation. Si une tasse se trouve au bord d’une table et qu’elle est sur le point de tomber, (1a) convient le mieux, (1b) est possible aussi mais moins approprié par rapport à (1a). (1c) n’est pas acceptable. Contrairement à ap, avec pral l’intention peut ne pas être en cours et la réalisation du procès ne dépend pas forcément de l’univers. L’action peut être arrêtée par une force extérieure. Si une tasse se trouve au milieu d’une table et qu’un ballon roule sur la table en direction de la tasse, (1b) convient le mieux, (1a) et (1c) ne sont pas acceptables mais (1c) pourrait l’être puisqu’avec ava la réalisation du procès peut être empêchée et/ou l’intention est vague. Si Jean compte acheter une voiture et qu’il n’a pas encore l’argent, il a rendez-vous avec un ami le jour suivant pour aller le chercher, la phrase (2) est acceptable mais si tout est déjà planifié et qu’il a déjà l’argent, ap et pral sont possibles tout en excluant ava.

(1) a. Tas la aptonbe.[12]

‘Tasse DET[13] FUT tomber.’

‘la tasse va tomber.’

  1. Tas la pral tonbe.

‘Tasse DET  FUT tomber.’

‘ la tasse va tomber.’

  1. c. Tas la ava tonbe.

‘Tasse DET FUT tomber.’

‘la tasse va tomber’

(2) Jan ava achte yon machin demen.

‘Jean FUT acheter un/e voiture demain.’

‘Jean va acheter une voiture demain.’

Références

Copley, Bridget (2005). ‘Ordering and reasoning.’ in MIT Working Papers in Linguistics vol. 51, New Work on Modality. Jon Gajewski, Valentine Hacquard, Bernard Nickel, and Seth Yalcin, eds. Cambridge, Mass.: MITWPL.

Copley, Bridget (2009). The Semantics of the Future.Routledge Outstanding Dissertations in Linguistics series: New York.

Damoiseau, Robert (2005). Éléments de grammaire comparée Français-Créolehaïtien, Editions Ibis Rouge, Petit-Bourg, Guadeloupe.

Valdman, Albert (1978). Le créole : structure, statut et origine, Editions Klincksieck.

 

Le créole francisé dans l’autogestion des pratiques sociolinguistiques haïtiennes : identité, discriminations et sécurité-insécurité linguistique.

Bartholy Pierre Louis

LangSÉ / FLA – UEH

PREFics – Université Rennes 2

Le créole haïtien (CH) et le français sont les seules langues co-officielles de la République d’Haïti (constitution haïtienne, 1987)[14]. Grace à sa fonction de langue première, le CH est acquis spontanément alors que le français doit être appris à l’école en Haïti. Malgré que le CH soit parlé par tous les Haïtiens, le français langue seconde en Haïti est l’idiome dominant socialement. Celui-ci confère à ses locuteurs un statut de scolarisé ou encore d’intellectuel. Ainsi, l’utilisation du créole francisé identifié par nos répondants – comme parler intermédiaire s’apparente à une double identité linguistique des interactants haïtiens : créolophone et francophone. Elle se prête à une stratégie de communication pouvant les positionner à la fois proche du français et du CH ; ce qui leur permettrait de fuir les discriminations et l’insécurité linguistique. Cette communication a pour objectif d’analyser le créole francisé et ses conséquences sur les pratiques sociales afin d’améliorer les interactions verbales dans les deux langues.

D’un point de vue sociolinguistique, ma communication considère les faits de langues comme des faits sociaux à part entière (Blanchet, 2004). Cela dit, le langage devient une activité socialement localisée (Bulot, 2011). Ainsi, Port-au-Prince est ici considéré à la fois comme la matrice discursive et l’épicentre des pratiques sociolinguistiques dans l’autogestion des pratiques sociolinguistiques haïtiennes (Pierre Louis, 2015) où se trouvent notamment les médias les plus influents et des situations sociales spontanées à travers lesquels le créole francisé est largement utilisé. Elle considère aussi une « sociodidactique dite de terrain » incluant les « interventions sur le terrain et l’observation de ces interventions » (Rispail et Blanchet, 2011) en prenant en compte le rapport entre la classe de langue et la société (Blanchet, Moore et Asselah Rahal, 2009). De ce point de vue, les dimensions « micro » et « macro » des langues (Calvet et Dumont, 1999) s’avèrent indispensables pour mieux étudier cette parlure.

Les problèmes d’identité, de discriminations et d’insécurité linguistique dans les pratiques sociolinguistiques haïtiennes doivent être posés de façon catégorique afin de permettre aux locuteurs haïtiens de communiquer dans l’une des deux langues haïtiennes, sans chercher à utiliser nécessairement le créole francisé comme stratégie « de mise à proximité ou de mise à distance » (Nelson, 2014 ; Pierre Louis, 2015) pour masquer, comme pourrait le signaler Pompilus (1979), leur incompétence en français. Inscrite dans une dimension interventionniste, cette communication se base donc sur l’épistémologie afin d’appréhender la manière de réfléchir et penser une intervention sur le terrain (Pierre Louis, 2015), dans une perspective socioconstructiviste (Fourez, 2009). Ainsi, elle propose une redéfinition contextualisée du bilinguisme haïtien et le développement d’une conscience métalinguistique (Di Mélio, 2009) afin de libérer la parole et ôter à la langue tout pouvoir discriminatoire.

 

Relations morphosyntaxiques du pronom li avec les prépositions du créole haïtien

Junior Fils René

LangSÉ / FLA – UEH

La forme li est pronom personnel de la troisième personne du singulier en créole haïtien (ch). Son référent peut être une personne, un animal, une chose. Le genre n’est pas exprimé dans les pronoms en CH (Fattier, 2000). C’est la situation de communication ou le contexte qui va déterminer le sexe du référent. DeGraff et Véronique (2000) soutiennent que li, comme tous les pronoms du ch ne présentent aucune marque de morphologie casuelle et les pronoms objets sont toujours post-verbaux et occupent la même position que les arguments objets lexicaux, ce dont témoignent les exemples suivants : Li manje mango a. < Il /Elle a mangé la mangue, Li manje li <il/Elle le/la mangé(e).

Cette contribution vise à étudier l’allomorphie (forme courte vs. Forme longue) du pronom li dans ses relations syntaxiques avec les prépositions en CH. Les exemples que nous présenterons convergeront pour montrer que les contextes prépositionnels ne sont pas un cas séparé, mais un cas, parmi un ensemble, illustrant les conditions générales de la réduction morphologique du pronom. Sa forme courte ‘l’ n’accepte pas de mot commençant par une consonne à sa droite. Par exemple : Li sou chèz la. <‘Il/Elle est sur la chaise.’ L avèk Mari depi lontan. < ‘Il/elle vit avec Marie depuis longtemps. *L sou chèz la. Cette forme courte est possible avec une préposition commençant par une voyelle. Cette contrainte est indépendante de la catégorie syntaxique du noyau predicatif : qu’il s’agisse d’un verbe ou d’une préposition, la contrainte est la même — le pronom sujet est de forme courte si le noyau prédicatif commence par une voyelle.

En position de coi, nous avons la forme courte du pronom li lorsque le mot qui précède se termine par une voyelle. Et enfin, dans le contexte (Prép + li), une contrainte supplémentaire est la structure syllabique de la préposition.

Quand nous étudions le comportement du pronom li en position de sujet et de coi, nous sommes arrivé à dégager les autres règles suivantes :

R1 : De manière générale, quand le pronom li est en position de sujet, sa forme courte n’accepte pas à sa droite un mot commençant par une consonne. Donc, dans des phrases comme [sujet + PP], la forme courte est possible si la préposition commence par une voyelle V.

R2 : En position de coi, il ne peut y avoir de forme courte que lorsque le mot qui précède le pronom se termine par une voyelle et que la préposition soit plurisyllabique. Par exemple Ana chante devan l. <Ana a chanté devant elle/lui. Jan mete flè a devan l. Jean a mis l la fleur devant lui/elle.’ Ana chante pou li. <Ana a chanté pour elle/lui.’ *Nèg yo chante sou l.

R3 : Les prépositions [sof], [kãta], [de], [malgre] ne peuvent pas se trouver en position de noyau prédicatif d’un pronom étant donné qu’elles ne peuvent pas être à l’initiale du prédicat, impossible de former une prédication : sujet + PX. Par exemple :* Li sauf. * Li malgré.* L malgre. L sauf.

Au moment de la communication, nous présenterons d’autres pistes de réflexion, par exemple, le comportement de la préposition avèk et montrerons comment des formes courtes comme (tank/tan, fòk/fò, avèk/avè) sont des substituts remplissant des espaces non remplissables par les formes longues correspondantes à gauche du pronom li dans sa forme courte.

 

Pour une onomastique partisane haïtienne : études diachroniques etsynchroniques des noms de partis politiques en Haïti

Arnaud Richard

Praxiling UMR 5267 CNRS et UMPV

Un discours politique peut être développé à travers de nombreux genres discursifs. Néanmoins l’essence même du nom en politique peut se retrouver condensé dans le nom, plus particulièrement le nom propre du parti de rattachement.

Le corpus que nous avons choisi d’étudier ici porte sur les noms de partis politiques en Haïti à partir des différentes campagnes de candidatures aux élections présidentielles des deux dernières décennies. Dans ce cadre, nous traiterons des noms et sigles retenus aux registres officiels en prenant également en compte les productions effectives sur les affiches de campagnes.

Dans un premier temps, nous présenterons un certain nombre de travaux sur la question du nom propre en contexte politique (notamment cf. Jonasson ou Kleiber ou Offerlé). Ensuite, nous indiquerons quelques éléments préalables au contexte socio-historique des discours étudiés que nous situerons plus précisément quant à leurs auteurs, destinataires présumés et thématiques d’ancrage. Nous procéderons enfin à une analyse qualitative des formes d’expression identitaire collective dans ces discours à travers les concepts de catégorisation et subjectivisation en observant les différentes pratiques discursives récurrentes (telles que la siglaison comme avec Bacot et al.).

Références 

Bacot Paul, Desmarchelier Dominique et Honoré Jean-Paul éd., 2011, Sigles et acronymes en politique [numéro thématique], Mots. Les langages du politique, no 95.

Jonasson Kerstin, 1994, Le nom propre. Constructions et interprétations,Louvain-la-Neuve, Duculot.

Kleiber Georges, 2001, « Remarques sur la dénomination », Cahiers de praxématique, no 36, p. 21-41.

Offerlé Michel, 2012 [1987], Les partis politiques, Paris, PUF (QJS).

 

Une grammaire électronique du Gwadloupéyen

Emmanuel Schang

LLL / Université d’Orléans

Dans cette communication, je décris les principaux éléments d’une grammaire TAG (Tree- Adjoining Grammar, v. Joshi & Schabes (1997), XTAG (1998), Abeillé (2002)) du créole de Guadeloupe implémentée et librement disponible sur GitHub. En particulier, je développerai :

– l’analyse des marqueurs TMA (Temps, Mode et Aspect) pour illustrer le fait que ce créole possède bien une morphologie verbale (analyse assez proche de Henri & Kihm (2015)),

– le traitement des marqueurs de défini, pluriel et démonstratif comme co-têtes lexicales.

Je montrerai les outils utilisés pour l’élaboration de cette grammaire, les outils d’évaluation de la couverture de cette grammaire et surtout, comment réutiliser le code afin de développer des grammaires électroniques pour d’autres langues assez proches, comme le haïtien (Kreyòl ayisyen) notamment.

Bibliographie
Abeillé, A. (2002). Une grammaire électronique du français. CNRS.

Henri, F., & Kihm, A. (2015). The morphology of TAM marking in creole languages: a comparative study. Word Structure, 8(2), 248-282.
Joshi, A. K., & Schabes, Y. (1997). Tree-adjoining grammars. Handbook of formal languages, 3, 69-124.

XTAG Research Group. (1998). A lexicalized tree adjoining grammar for English. arXiv preprint cs/9809024.

 

La méthodologie pédagogique des manuels scolaires créoles en Haïti et aux PetitesAntilles françaises : une étude comparative des enjeux sociolinguistiques

Taylor Smith

Sorbonne université

Dans les vingt dernières années, l’image des créoles à base lexicale française dans l’enseignement national (qu’il s’agisse des DOM français ou d’Haïti) est passée de celle d’un handicap dans l’apprentissage du français à celle d’un atout culturel qui commence à avoir plus de reconnaissance sur le plan linguistique. Les nouvelles recherches sur le bilinguisme et l’acquisition du langage, tels que les travaux de Poth (1997) et de Cummins (2009), ont montré l’importance de l’enseignement dans la langue maternelle, même si cette langue fait partie du basilecte dans un système de diglossie. L’histoire du créole à l’école s’est construite en plusieurs tentatives, surtout le travail de Bernard en Haïti et son approche transitionnelle consistant à introduire le français graduellement dans le parcours scolaire. Les lois et les initiatives en France, comme la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013, ainsi que la création du CAPES de créole (2002), ont tenté d’introduire le créole dans le cadre du programme pédagogique. Cette progression dans les deux régions a donné lieu, dans les dix dernières années, à de nombreux manuels scolaires créoles. Malgré ces initiatives, en Haïti où le créole est une langue co-officielle avec le français, le niveau de standardisation et d’approbation dans la société est plus élevé qu’en Guadeloupe ou en Martinique. Les petites Antilles prétendent avoir un niveau de standardisation très avancé, si l’on se fie aux demandes écrites dans le CAPES de créole, par exemple. Ils essaient ainsi d’intégrer une langue à lastandardisation non-aboutie aux mêmes normes éducatives que le créole haïtien, alors que ce dernier a atteint un champ de standardisation plus large. En s’appuyant sur les travaux de Haugen (1966) et Vallverdu (1972, 1979), notre communication s’inscrit à la fois dans les axes sociolinguistique et éducatif pour comparer un corpus de deux manuels scolaires de langue créole, Maton ! Gramè ak lekti kreyol (manuel du créole haïtien) et Bon Doukou (manuel du créole guadeloupéen). On propose de montrer que la standardisation du créole des Petites Antilles françaises, un processus toujours inabouti, donne lieu à deux méthodologies très différentessur les plans métalinguistique et sociolinguistique.

Bibliographie

Anciaux, F. (2008). « Alternance des langues et stratégie d’enseignement en EPS en contexte bilingue », Recherches et Ressources en Éducation et Formlangtion 2, 26-33.

Bolus, M. (2009). « The Teaching of Creole in Guadeloupe », dans B. Migge, I. Léglise & A. Bartens (éds). Creoles in Education: An appraisal of current programs and projects, Amsterdam, John Benjamins 81-106.

Carrington, L. (1976). « Determining Language Education Policy in Caribbean Sociolinguistic Complexes », International Journal of the Sociology of Language 8, 27-43.

Clairis, C., Coyos, J.-B. (2000). Langues et cultures régionales de France : État des lieux, enseignement, politiques. Paris, L’Harmattan.

Cummins, J. (2009). « Fundamental Psycholinguistic and Sociological Principles Underlying Educational Success for Linguistic Minority Students », dans T. Skutnabb-Kangas, R. Phillipson, A. K. Mohanty & M. Panda (éds), Social Justice Through Multilingual Education, 19-35. Bristol, Multilingual Matters.

Dejean, Y. (1993). « An overview of the language situation in Haiti », International Journal of the Sociology of Language 102, 73-84.

Haugen, E. (1966)  « Dialect, Language, Nation », American Anthropologist, 68, 922–935. Poth, J. (1997). « L’enseignement d’une langue maternelle et d’une langue non maternelle », Centre International de Phonétique Appliquée – Mous Guide pratique Linguapax 4, 8-24.

Spears, Arthur K., et Carole M. Berotte Joseph (éds.) (2010). The Haitian Creole Language: History, Structure, Use, and Education. Landham, Lexington Books.

Vallverdu, F. (1972) « Ensayos sobre bilingüismo », Language in Society, 4, 124-124

 

Dynamique du créole martiniquais au contact du créole haïtien et des autres langues du territoire

Karen Tareau

Attaché d’Enseignement et de recherche

Université des Antilles / Pôle Martinique

Le créole haïtien est le créole à base lexicale française le plus répandu dans le monde. En effet, les contacts de langues et de cultures, dus aux mouvements migratoires, accroissent l’émergence de cette variété et nous invitent à repenser la dynamique du créole haïtien au sein de ces viviers linguistique et culturel (R. Govain 2014).

Lors d’une récente étude (Tareau, à paraître), nous avons constaté que la Martinique, bien que département français de moins de 400 000 habitants, concentre à elle seule un terrain d’enquête riche et diversifié. Ce dit terrain se compose de ressortissants de la Caraïbe : île de Sainte-Lucie, Haïti, la Dominique, Saint-Domingue, de Cuba mais aussi de l’Afrique, du Proche-Orient, de l’Europe (Est et Ouest). À cet effet, nous pouvons identifier parmi ces populations des contacts de langues créoles à base lexicale française (BLF) et anglaise (BLA). Ces créoles sont sous influence des langues françaises, anglaises, espagnole, voire hollandaise.

Le créole haïtien participe donc à une dynamique interlangagière que nous souhaitons aborder sous l’angle de la linguistique, plus précisément de la sémantique lexicale.

Les discours des communautés haïtiennes et ceux de la communauté locale sont mis en confrontation, afin d’identifier d’une part des phénomènes d’emprunt, de code switching qui aboutit dans certains cas à des ambiguïtés sémantiques, puis à terme à des innovations issues du processus de désémantisation-resémantisation du créole martiniquais sous l’influence, en autres, du créole haïtien.

Nous souhaitons montrer dans cette étude l’interpénétrabilité de ces créoles au contact d’autres langues, laquelle participe au phénomène de créolisation linguistique, voire (néo) créolisation (J. Benoist 2003, J. Bernabé 2003 & 2015, M. Bélaise 2015) du créole autochtone.

 

Maryaj Belizè Dyedone ak Jezila Lamatinyè : Nanm desounen kont rasyonalism kritik (yon resi tematik)

Tontongi

Ekriven e editè revi Tanbou

Lè mwen fèk gade anons pwopozisyon kolòk la mwen dabò di tèt mwen sanble se yon kolòk « syantifik» li ye, men lè m gade tit la ki pale de « Laboratwa Lang, Sosyete ak Edikasyon », mwen di tèt mwen petèt genyen plas tou pou « Literati», pwiske literati fè pati de lang, sosyete ak edikasyon.

Mwen vle pwopoze pou kolòk la yon resi tematik mwen ekri ki rele « Maryaj Belizè Dyedone ak Jezila Lamatinyè: Nanm desounen kont rasyonalism politik», ki chita sou istwa sware nòs Dyedone Belizè ak Jezila Lamatinyè ki fini nan kè mare.

Parenn nòs la, Mèt Jewòm, yon gwo notab nan yon bouk nan Leyogàn, pete yon deblozay nan resepsyon maryaj la paske li pa t renmen difètke envite yo pa t aplodi diskou an lonè marye yo li fè a. Antanke yon nonm ak repitasyon moun debyen, konpòtman Mèt Jewòm pa t parèt « nòmal» pou Jezila Lamatinyè. Li atribye beblozay ki rive nan sware nòs li a, jwenn ak boudri mari li pandan tout rès sware a, ak yon kozalite ki mande pou l met pye l nan dlo e chache konsèy houngan. Men konsèy houngan ak konsèy yon kouzen li, Raoul Kachiman, yon etidyan nan lekòl de dwa nan Pòtoprens, ki te gen yon apwòch pi « rasyonalis» sou sitiyasyon an, vin louvwi tout yon chan envestigasyon ak kesyonnman pou Jezila Lamatinyè.

Tèks naratif sila a enspire alafwa de nouvèl, lodyans, filozofi e esè tematik. Li fè antremèlman kat disiplin sa yo yon eleman enpòtan nan estrikti dewoulman li. Se nan yon sèten sans, fason Jean-Paul Sartre te konn glise sibtilman nan nouvèl, woman ak pyèsteyat li yo postila filozofi Egzistansyalism la, kouwè nou ka wè nan Le Mur, La Nausée, Les chemins de la liberté oswa Le Diable et le Bon Dieu.

Nan istwa osijè maryaj de pwotagonis prensipal yo, mwen eseye montre kwayans nan vodou ayisyen an ann aksyon, nan yon sitiyasyon anpirik, apati de yon moman nan lavi yon kominote.

Kesyonnman Jezila Lamatinyè yo sou posiblite reyaksyon Mèt Jewòm lan ka koze pa entèvansyon fòs okilt e malefik yo, fè n wè diferan kalite mwayen kwayans vodou a penetre enkonsyan kiltirèl pèp ayisyen an nan yon dimansyon ki aji sou kouman kominote a (sosyete a, pèp la, nasyon an, elatriye) viv sa li ye, viv diferans li, alterite li, nan yon fason ki anpeche l tonbe nan alyenasyon pou tout bon (endividi a angaje l pou l chache konnen ki jan pou l aji kont sò li). Ou ka wè yon sanblan kontradiksyon ant volonte endividyèl la ke konsèp santral Egzistansyalism lan pwomouvwa (egzistans vin anvan esans, responsablite ak kontwòl yon endividi genyen sou lavi li), ak sòt predestinasyon relasyon ak lwa vodou yo egzije. Men gen anpil ka tou kote vodouyizan an gen resanblans ak pèsonaj sartriyen yo, nan jan li manipile relasyon l ak fòs kosmik yo e ak lwa yo.

Se reyalizasyon sa a Jezila Lamatinyè vin fè alafen resi a, men li te blije pase atravè griy chimen ak referans kwayans vodou a ansanm ak koutim kominote li fè pati a. Men se nan tout resi a ou wè tansyon ki genyen ant yon nanm ki desounen anba fòs kwayans vodou a ak rasyonalism kritik yon lespri vijilan, ki vle rete lib nan jan limenm li pran desizyon pou lavi li.

Ekriti resi sila a soti nan kad yon nouvo refleksyon m ap fè sou filozofi ayisyen. Yon esè m sou refleksyon sa yo gen pou parèt nan pwochen liv mwen Simbi nan dlo / Simbi dans l’eau, yon zèv bileng ki adopte yon koutje fenomenolojik sou kesyon nanm ak rèv nan sosyete ayisyen an.

 

Apports de la philologie pour une linguistique haïtienne

Frédéric Torterat

Université de Montpellier

Dans la mesure où la philologie a pour caractéristique de partir d’usages effectifs, assujettis à la variation, et tous susceptibles d’être documentés par un travail de l’archive (Torterat, 2016), une telle approche présente une concrète opportunité pour une linguistique haïtienne. Nous appliquons cette démarche aux faits avérés de variations diatopique et diastratique représentés en Haïti, en particulier pour ce qui distingue les usages linguistiques du Centre, de l’Ouest et du Nord-Est, ainsi que pour ce qui concerne le continuum qui s’établit selon nous entre le créole haïtien et le français régional antillais spécifique à ce pays (y compris dans la nomenclature grammaticale).

Cette intervention se propose d’appréhender les études haïtiennes, sur le plan ontologique, à travers le plurilinguisme représenté dans cette région des Antilles, et sur le plan épistémologique à travers les liens qui s’opèrent entre linguistique, philologie et terminologie.

Une entrée de ce type dans les études haïtiennes permet également d’exemplifier l’un des impacts des puissances coloniales – avec les risques afférents -, sur la culture du pays. Nous envisageons dans le cas présent les interférences qui se manifestent chez les locuteurs haïtiens entre un créole de base romane, un français métropolitain encore prégnant, mais aussi un français régional spécifiquement antillais. Plusieurs récurrences discursives nous conduisent à illustrer concrètement notre propos, comme des créolismes irriguant la francophonie (par ex., des policiers formés « pour quapper les bandits » [créol. kwape bandi yo]), ou inversement (not. mamit dans l’Ouest haïtien désignant toutes sortes de récipients de cuisson).

 

La nasalisation en créole haïtien : étude des structures sous-jacentes

Louivael Valaubrun

LangSÉ, FLA – UEH

Le phénomène de nasalisation en créole haïtien n’est pas simple, mais un système manifestant une harmonie nasale complexe en synchronie, mais aussi instable et irrégulier (Cadely 2002, Valaubrun 2017). La nasalisation en créole haïtien (CH) fait l’objet de plusieurs études (Hall, 1950) ; Vernet, 1980 ; Annestin, 1987 ; Cadely, 2002 ; Govain 2016) ; Valdman, 1978 ; Pompilus, 9173 ; Valaubrun, 2017). Mais peu de ces travaux s’intéressent au phénomène de manière sous-jacente. Pourtant, de par sa complexité, une étude qui cherche à explorer la nasalisation au niveau sous-jacent en CH est fondamentale. Pour Valdman (1978) et Pompilus (9173), elle est récurrente et elle est l’une des caractéristiques du CH. Ainsi, cette contribution s’intéresse aux structures profondes du phénomène de nasalisation. Elle s’appuie sur la théorie de l’optimalité (Prince et Smolensky, 1993) et l’approche autosegmentale (Golsmith, 1976) rendant compte de règles transformationnelles. Cette etude permettra de mettre en évidence les rapports entre les formes sous-jacentes et les formes observables. Cette analyse, en fait, part du principe V→Ṽ ⁄-N qui se présente comme une propagation du trait [+nasal] qui vient sous le X adjacent (Bolstanki, 1999). Cela nous permettra d’expliquer, par exemple, la nasalisation dans les mots [ʃãm] (chambre), [lãm] ou [lam] (lanm ou lam) et [lãŋ] (langue). Phonémiquement, on considérera que [ʃãm] est la réalisation de /ʃãb/ (1) ou de /ʃam/ (2). Dans (1), on a une assimilation N à coda ; dans (2), on a une assimilation V ß N. Si l’on accepte (2) /ʃam/, il faudrait, par économie d’hypothèses, interpréter [ʃã] (chant) comme /ʃaN/, où N est une coda nasale sous-spécifiée (archiphonème). Or cette coda nasale n’apparait pas dans [ʃã].

– Si [ʃãm] a toujours une voyelle nasale, [lam] a deux réalisations possibles, ce qui implique, pour ces mots, deux représentations dont la coda nasale se comporte différemment.

– Si [ʃãm] dérive de /ʃam/, alors [lãŋ] (langue) dérive de /laŋ/, avec une consonne nasale vélaire à distribution lacunaire. En admet l’hypothèse /ʃãb/ (et /ʃã/), alors il y a 4 types de nasalisation en CH :

  1. /ṼD/ à [ṼN] : propagation progressive (GD) de /Ṽ/
  2. /VN(V)/ à [ṼN(V)] ~ [VN(V)] : propagation régressive (DG) de /N/
  3. /NV/ à [NṼ] ~ [NV] : propagation progressive (GD) de /N/
  4. /Ṽ…V/ à [Ṽ…Ṽ] ~ [Ṽ…V]

De (a,b,c,d) il suit que [Ṽ] ne semble être systématique que quand elle est phonémique.

Reférences

Annestin Agnès-L (1987), Structure syllabique de l’haïtien et nasalisation, Mémoire de Maitrise, Université́ du Québec à Montréal.

Boltanski Jean-Elie (1999), Nouvelles directions en phonologie, Paris, PPUF.

Cadely Jean-Robert (2002), Le statut des voyelles nasales en créole haïtien, Lingua, vol. 112 n° 6, 435-464.

Goldsmith John 1976), Autosegmental phonology, Ph. Dissertation, MIT.

Govain Renauld (2016), Convergences phonologiques entre le créole haïtien et le français, Communication présentée au XVe colloque des Études créoles « Pourquoi étudier les langues, cultures et sociétés créoles aujourd’hui ? », Guadeloupe, 31 octobre – 4 novembre 2016.

Hall, Robert A. (1950), Nasalization in Haitian Creole, Modern Language Notes, Vol. 65 No 7, 474-478.

Pompilus Pradel (1973), Contribution à l’étude comparée du créole et du français.

Valaubrun, Louivael (2017), La nasalisation en créole haïtien : une approche lexicale, Mémoire de maitrise, Université d’Etat d’Haïti.

Valdman, Albert (1978), Le créole : structure, statut et origine, Paris, Klincksieck

Vernet, Pierre (1980), Technique d’écriture du créole haïtien, Port-au-Prince, Le Natal.

 

Refi òtograf non pwòp an kreyòl ayisyen: jistifikasyon jiridiko-paradigmatik osèvis alyenasyon kiltirèl

Lemète Zéphyr

 LangSÉ – FLA-UEH

Menm jan ak enstitisyon prive kou piblik ann Ayiti, ofisye eta sivil ekri non majorite Ayisyen dapre degre konesans òtograf franse yo. Yo menm eseye tradui non kreyòl yo an franse tankou Tijedi: Petit-Jeudi, Tinonm: Petit-Homme…Majorite moun ki pase anpil ane lekòl nan peyi a etone chak fwa yo wè yon non moun ekri an kreyòl.  Yo mande : Pou ki sa ou tradui non pwòp? An jeneral, yo tout genyen yon menm agiman jiridiko-pragmatik: non w se idantite w, ou pa ka touche chèk ni transfè si non w pa ekri sou papye ki konsène w la menm jan ak nan dokiman idantite w.

Nan kominikasyon sa a, m ap sèvi ak yon apwòch ki chita dabò sou reyalite lengwistik: tout lang jere non pwòp menm jan ak tout lòt mo leksik yo nan domèn fonolojik. Konsepsyon jiridiko-pragmatik revandikasyon pou yo ekri non moun tou patou jan yo ye nan pyès yo se yon senp alyenasyon akademiko-kiltirèl ki inyore reyalite non ki vwayaje nan 4000 a 6000 lang diferan yo pale nan lemonn, ki ekri dapre twa gran gwoup òtograf diferan pèsonn pa ka ni metrize alafwa, ni reprezante an menm tan nan yon menm dokiman.

Apre sa, m ap sèvi ak done lavi tou le jou pou m montre limit konfizyon ant non pwòp ak idantite a dapre esperyans nou tout fè nan monn lan. Anfen, m ap egzamine prensip jesyon natirèl non pwòp kòm fenomèn inivèsèl epi sèvi ak demach idantifikasyon ki deja egziste nan esta sivil an kreyòl pou m pwopoze kèk dispozisyon legal ak akademik senp yo kapab entegre nan yon politik lengwistik pou n ekri non pwòp nenpòt lang etranje ki pase an kreyòl ayisyen selon prensip òtograf fonolojik la. Demwach koyeran sa a fè pati dwa tout lektè genyen pou yo kapab li tout pawòl dapre sistèm pwononsyasyon lang yo òtograf yo reprezante.

Études sur la variation linguistique du créole haïtien

(Conférence plénière)

Albert Valdman

Indiana University

Le créole haïtien (CH) s’avère être de loin la langue créole à base française la mieux décrite, à commencer par l’ouvrage de Suzanne Sylvain (1936), puis des descriptions illustrant diverses perspectives de la linguistique structurale moderne : (Hall, 1953 ; Pompilus, 1973, 1976 ; DeGraff, 2007 ; Valdman, 2015). Mais ces études en général portent sur une variété relativement abstraite que l’on pourrait dénommer le CH « standard », la variété attribuée aux locuteurs monolingues de la région de l’Ouest, proche de la capitale du pays. Or, toute langue vivante est loin d’être uniforme et exhibe des variations qui reflètent la localité des locuteurs (variation diatopique), leur status social (variation diastratique), le contexte des interactions langagières : contexte social de la communication, relations entre les interlocuteurs, fonctions communicatives, etc. (variation diaphasique).

Depuis 1970, avec la thèse doctorale de Paul Orjala et le monumental Atlas Linguistique d’Haïti de Dominique Fattier (1998), Haïti est l’une des régions créolophones dont la variation diatopique est bien décrite. Nous passerons en revue certains des aspects de cette variation. Toutefois, bien que publiées en 1998, les données sur lesquelles repose cette étude ont été recueillies au début des années quatre-vingt, avec la collaboration de la FLA, d’ailleurs. Vu les profonds changements démographiques qui ont marqué le pays au cours des dernières décennies, une actualisation de ces données s’impose.

A notre connaissance, la première étude diastratique sur le créole haïtien est celle que nous avons menée en 1985 auprès de locuteurs bilingues de la classe moyenne à Port-au-Prince (Valdman, 1991) sur la nasalisation du déterminant postposé LA en contexte phonologique non-nasal qui indiquait une différence entre des locuteurs « junior » (18-25 ans) et « seniors » (40 ans et plus). Nous passerons rapidement en revue cette étude pilote innovatrice et rendrons compte d’une recherche plus poussée sur cette variation menée auprès de locuteurs urbains et ruraux socialement différenciés conduite par David Tézil dans sa thèse doctorale en cours.

Notre présentation traitera en particulier d’une vaste étude diatopique et diastratique que nous avons menée auprès de 126 locuteurs au Cap Haïtien et dans le village environnant de Thibeau (Valdman, 2015 ; Valdman, Villeneuve & Siegel, 2015). Nous avons pris en compte trois catégoriessociales : localité, urbaine vs. rurale ; groupe d’âge, écoliers et étudiants âgés de 12 à 18 ans vs. adultes ; sexe. Nos données ont été recueillies au cours de deux entretiens. Le premier, mené par des enseignants locaux, consistait en une conversation guidée avec deux sujets. Le second entretien, individuel, était mené par une personne étrangère à la région. Dans une perspective diastratique nous avons évalué la production de diverses variantes capoises par comparaison avec celle du CH standard, par ex., sur le plan morphophonologique, la construction possessive (par ex., sè m(wen) vs. sèranm) ; sur le plan phonologique, le remplacement de /r/ par /w/ après consonne labiale (par ex., pwan vs. pran) ; sur le plan lexical, ake au lieu de ak, avèk. Dans une perspective diastratique, nous avons évalué les taux de production des variantes capoises des différentes catégories sociales des sujets. Notre étude comprenait aussi une perspective épilinguistique : les locuteurs étaient invités à émettre des réflexions concernant leur attitude envers les traits capois par rapport aux traits correspondant du CH « standard ».

Les descriptions de la situation linguistique d’Haïti et les discussions dans le domaine de l’aménagement linguistique partent d’une dichotomie où le français s’oppose à un CH non différencié ou, lorsque celui-ci est précisé, celui de la majorité monolingue du pays. Mais en réalité la situation est rendue plus complexe par l’introduction du troisième larron qu’est la variété de la langue vernaculaire parlée par la minorité bilingue détentrice du pouvoir économique, social et politique, dénommée kreyòl swa (Fattier-Thomas, 1984 ; Zéphir, 1990). La description de cette variété mésolectale du CH superposée au parler basilectal des masses unilingues constitue un aspect prioritaire des recherches portant sur la variation diastratique et diaphasique de la langue. Nous en aborderons quelques aspects.

Bibliographie

DeGraff, Michel. 2007. Haitian Creole.In John Holm and Peter Patrick (eds.), Comparative Creole Syntax : Parallel Outlines of 18 Creole Grammars. London : Battlebridge Publications (Westminster Creolistics Series).

Fattier, Dominique. 2000. Contribution à l’étude de la genèse d’un créole : L’atlas linguistique d’Haïti, cartes et commentaires. Thèse de doctorat d’État. Villeneuve d’Ascq: Presses Universitaires du Septentrion.

Fattier-Thomas, Dominique. 1984. De la variété rèk à la variété swa. Pratiques vivantes de la langue en Haïti. Conjonction 161.162: 39–51.

Hall, Robert A., Jr. 1953. Haitian Creole: Grammar-Texts-Vocabulary. Philadelphia: American Folklore Society (Memoirs 43).

Orjala, Paul. 1970. A Dialect Survey of Haitian Creole. Doctoral dissertation. Hartford Seminary Foundation.

Pompilus, Pradel. 1973. Contribution à l’étude comparée du créole et du français à partir du créole haïtien : Phonologie et lexique (Vol. I). Port-au-Prince : Éditions Caraïbes.

Pompilus, Pradel. 1976. Contribution à l’étude comparée du créole et du français à partir du créole haïtien : Morphologie et syntaxe (Vol. II). Port-au-Prince : Éditions Caraïbes.

Sylvain, Suzanne. 1936. Le Créole haïtien : morphologie et syntaxe. Wetteren (Belgique): de Meester; Port-au-Prince: chez l’auteur.

Valdman, Albert. 1991. Decreolization or Dialect Contact in Haiti? In Frank Byrne and Theodore Huebner (eds.), Development and Structures of Creole Languages: Essays in Honor of Derek Bickerton. Philadelphia and Amsterdam: John Benjamins, pp. 75–88.

Valdman, Albert. 2015. Haitian Creole: Structure, Variation, Status, Origin. Sheffield, UK; Bristol, CT: Equinox Publishing, Ltd.

Valdman, Albert, Anne-José Villeneuve, and Jason F. Siegel. 2015. On the influence of the standard norm of Haitian Creole on the Cap Haïtien dialect: Evidence from sociolinguistic variation in the third person singular pronoun. Journal of Pidgin and Creole Languages 30(1): 1–43.

Zéphir, Flore. 1990. Language Choice, Language Use, Language Attitudes of the Haitian Bilingual Community. Doctoral dissertation. Indiana University-Bloomington.

 

De l’hétérogénéité grammaticale des constructions « à verbes sériels » : coup d’œil illustratif sur une variété de martiniquais

(Conférence plénière)

Anne Zribi-Hertz& Loïc Jean-Louis

UP8/U.Paris-Lumières, SFL/CNRS

Cet exposé portera sur ce qu’on appelle les constructions à verbes sériels (anglais : Serial Verb Constructions: SVC), dont une définition générale est citée en (1), et qu’on a pu caractériser par la liste de propriétés énumérées en (2) :

(1)  « Une série verbale est une séquence de verbes qui forment ensemble un seul prédicat, sans aucun marqueur de coordination ou subordination, ni aucune dépendance syntaxique entre les deux. »      [Traduit d’Aikhenvald 2006 : 1; noter que la séquence soulignée exprime une hypothèse, pas une propriété observable]

(2)        Propriétés proposées comme caractéristiques des SVC en général

  1. Une SVC est une construction (entendre : ‘productive’). (Haspelmath 2015)
  2. Une SVC contient deux ou plusieurs items identifiables comme « verbes »

(càd. capables d’occuper la position V en phrase simple).

  1. Dans une SVC, V1 et V2 sont lexicalement contraints. (Durie 1997)
  2. Une SVC dénote un événement singulier. (Osam 2003)
  3. Une SVC contient un seul sujet explicite.
  4. Une SVC contient une seule spécification TMA.
  5. Une SVC contient une seule spécification de polarité.
  6. Pas de marqueur explicite de coordination ou subordination entre les V.
  7. Pas de rupture prosodique entre les V d’une SVC.

Des constructions vérifiant (2) sont attestées dans diverses langues créoles (Michaelis et al. 2013), notamment dans des créoles à base française (CBF : Syea 2017), avec une certaine variation d’une langue à l’autre. En examinant attentivement les données d’un CBF particulier (ici, une variété de martiniquais : MQ), nous trouvons confirmation de l’hypothèse que ni une définition comme (1), ni la liste de propriétés en (2), n’identifient un phénomène — un patron singulier de structure syntaxique. Pour la grammaire MQ que nous décrivons, on trouve au moins trois types de constructions vérifiant (2), dont on peut montrer qu’ils diffèrent les uns des autres tant par leur syntaxe que par leur interprétation :

      (i)   Type 1 (notre hypothèse : composition lexicale)

(3)  a.   Pòl énervé :  i    ka  yen  ki    asiz   –    doubout.

Paul énervé 3sgipf rien que s’asseoir se.lever

‘Paul est énervé : il ne fait que s’asseoir-se lever.’

  1. Sé tianmay-la ka   monté – désannan  piébwa-a   dépi bonmaten-an.

pl  enfant-det   ipf  monter descendre dans arbre- det depuis matin-det

‘Les enfants ne font que monter-descendre dans/de l’arbre depuis ce matin.’

  1. Pénélòp   monté – démonté  tapisri      ‘y    -la

Pénélope monter  démonter tapisserie-3sg-det

pandan  tout tan      i      atann     Ilis     -la.

pendant tout temps 3sg attendre Ulysse-det

‘Pénélope a monté-démonté sa tapisserie pendant tout le temps

qu’elle a attendu Ulysse.’

(ii)   Type 2 (notre hypothèse : VP1 modifieur de manière sur   VP2)

(4)  a.   Pòl   pran lèt-la          jété.

Paul prend lait-det  jeter

‘Paul a pris+jeté le lait.’ (‘Paul a balancé le lait.’)

  1. Ay chèché   koutla    koupé zèb !

va chercher coutelas couper herbe

‘Va chercher (un) coutelas+couper de l’herbe !’ (‘Va donc couper de l’herbe !’)

  1. Pòl travèsé kannal-la      najé    jis         Dominik.

            Paul traverser canal-det  nager jusque    Dominique

‘Paul a nagé jusqu’à la Dominique en traversant le canal.’

(iii) Type 3 (notre hypothèse : V2 modifieur directionnel sur VP1)

(5)  a.   Pòl  poté   pannié lédjim-lan      désann          (kay manman’y).

Paul porter panier légume-det   descendre      chez mère-3sg

            ‘Paul a descendu le panier de légumes (chez sa mère).’

(‘Paul carried the basket of veggies down (to his mum’s).’)

  1. Van-an     pousé    kannòt-la   alé.

vent-det  pousser bateau-det  aller

‘Le vent a éloigné le bateau.’

      (‘The wind pushed the boat away.’)

  1. Vréyé    boul-la        vini !

            envoie  ballon-det   venir

‘Envoie le ballon par ici!’                      

Nous nous concentrerons ici sur les types (ii) et (iii) en cherchant à montrer qu’en CMQ :

  • les exemples groupés sous (4) forment fondamentalement une seule classe structurale en dépit de certaines variations syntaxiques et sémantiques secondaires ;
  • les constructions illustrées en (4) et (5) ont des propriétés différentes justifiant deux analyses syntaxiques radicalement distinctes.

Références

Aikhenvald, Alexandra. 2006. Serial verb constructions in typological perspective. In A. Aikhenvald & R. M. W. Dixon (dir.), Serial verb constructions: A cross-linguistic typology : 1-68. Oxford: Oxford University Press.

Durie, Mark. 1997. Grammatical structures in verb serialization., in A. Alsina, J. Bresnan & P. Sells (dir.), Complex predicates: : 289-354.Stanford: CSLI.

Haspelmath, Martin. 2015. The Serial Verb Construction: comparative concept and cross-linguistic generalizations, Leipzig University http://www.academia.edu/106527

Michaelis, Susanne Maria ; Philippe Maurer ; Martin Haspelmath & Magnus Huber (dir.), 2013. Atlas of Pidgin and Creole Language Structure  Online.

Leipzig: Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology.
<http://apics-online.info, Accessed on 2017-02-17>

Osam, E. Kweku. 2003. The verbal and multi-verbal system of Akan.  In D. Beermann & L. Hellan (dir.), Proceedings of the workshop on multi-verb constructions, Trondheim.http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.491.8857&rep=rep1&type=pdf

Syea, Anand. 2017. French Creoles: a comprehensive and comparative grammar. London: Routledge.

[1]dans les variétés parlées par nos locuteurs et consultants.

[2]Il sera présumé ici que les NP définis sont des termes et qu’il convient de les traiter de façon uniforme, qu’ils soient singuliers, massifs ou pluriels (Löbner 1985).

[3] BLA pour Base Lexicale Anglaise et BLF pour Base Lexicale Française.

[4] Dans tous les exemples (1) à (10) la forme pleine est toujours grammaticale.

 

[5](Schane, 1973)

[6](Govain, 2014): Cours – Dialectologie: variation et changement linguistique.

[7](Anttila, 2018)

[8] (Mufwene, 2001)

[9] Input (Gusssenhoven and Jacobs, 1998)

[10] Le choix d’un alternant de base ou forme sous-jacente allège la description et permet la formulation de règles plus simples et plus générales pour une langue donnée (Bloomfield, 1933). Carvalho et ali. (2010) propose trois principes qui permettent de déterminer les formes sous-jacentes aux formes de surfaces observées.

[11]Leur usage peut se révéler classifiant – pour  paraphraser Ledegen et Isabelle Léglise (2013). Govain (2014) parle de « registre » quoique le sens des segments ainsi que leur usage restent peu prioritaires dans l’analyse phonologique.

[12] Nos exemples ont été soumis aux jugements de certains locuteurs natifs du CH.

[13] Liste des abréviations utilisées dans les gloses : DET= déterminant ; FUT= futur.

[14] Constitution haïtienne amendée (2012).

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